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L’histoire environnementale associe généralement l’introduction de la foresterie scientifique et l’essor du mouvement conservationniste en Amérique du Nord à la fin du xixe siècle[2]. En effet, c’est lors des débats sur l’épuisement de la forêt que prit forme ce mouvement qui revendiquait précisément une utilisation rationnelle des ressources naturelles et une prise en charge étatique de leur exploitation. Si nous retrouvons le mouvement conservationniste dans toute sa vigueur aux États-Unis, nous savons que le Canada y participe activement en créant la Commission de la conservation du Canada en 1910[3]. Sans s’affubler nécessairement de l’étiquette conservationniste, d’autres initiatives porteront l’empreinte de cette alliance entre science et politique et contribueront à moderniser la bureaucratie fédérale[4].

Le conservationnisme a eu ses tenants dans la province de Québec à cette même époque. Les historiens y ont vu, tantôt une idéologie étrangère – américaine ou européenne – promue localement par des politiciens tels Henri Joly de Lotbinière ou Wilfrid Laurier ou des naturalistes comme Mgr Joseph-Clovis-Kemner Laflamme, tantôt une entreprise légitimant les intérêts des exploitants forestiers[5]. Lorsque sont soulignées des interventions telle la création du Service forestier du ministère des Terres et Forêts en 1909, c’est pour illustrer la pénétration en territoire québécois d’une nouvelle éthique de la nature qu’entravent une pauvreté de ressources financières et une obsession pour la perception de royautés, les droits de coupes ou les rentes des concessions forestières représentant la principale ressource financière du gouvernement provincial après les transferts fédéraux.

Si toute étude de la pénétration du conservationnisme au Québec passe nécessairement par l’examen de l’introduction de la foresterie scientifique, elle doit tenir compte également des répercussions de ce mouvement sur la modernisation des mécanismes d’intervention de l’État québécois autrement que par la seule arrivée de scientifiques dans la fonction publique. En nous intéressant à une pratique – la reforestation – et à une institution – la pépinière provinciale de Berthierville –, nous examinons dans cet article les modalités par lesquelles l’État fonde ses interventions sur une activité scientifique pour encadrer les pratiques des acteurs, reconfigurer le paysage forestier et contrôler son territoire. La modernisation de l’État renvoie ici à une série de procès imbriqués où la croissance d’une administration publique s’articule autour de la formation d’un personnel scientifique, de l’inscription de la science dans les politiques gouvernementales et de l’exercice d’un pouvoir territorial que permettent à la fois l’embauche de ce personnel scientifique et ses activités de connaissance. La reforestation apparaît comme un outil façonnant le personnel technique et les politiques du ministère des Terres et Forêts, et la pépinière provinciale, comme un milieu expérimental et pratique fournissant aux forestiers les compétences, la connaissance et le matériel nécessaires à la diffusion d’une approche sylvicole qu’ils légitiment. À cet égard, il nous importe de situer la pépinière de Berthierville à la jonction de deux réseaux. Le premier est celui de l’enseignement et de la recherche en foresterie et fournit un personnel qualifié et une connaissance technique au ministère des Terres et Forêts pour refondre son administration et légitimer ses interventions. Le second situe la reforestation au centre d’une stratégie pour instituer une séparation entre le domaine forestier et le domaine agricole, et ramener à un usage productif une partie du territoire abandonné au mouvement de colonisation. Ces deux réseaux se déploient dans un contexte structuré par les débats sur l’épuisement de la ressource ligneuse où le colon, présenté comme la cause du déboisement et l’ennemi des intérêts forestiers, est invité à participer à l’oeuvre de reboisement des terres désertiques.

Reforestation et foresterie scientifique en Amérique du Nord

En Amérique du Nord, à la fin du xixe siècle, l’introduction et l’enseignement de la foresterie figurent au rang des préoccupations des conservationnistes (industriels, marchands, naturalistes et politiciens) qui discutent des difficultés d’approvisionnement en bois et de la possibilité d’une exploitation forestière soutenue[6]. L’emballement de l’industrie de la construction et l’intensité des activités ferroviaires fournissent les conditions propices à un épuisement rapide des réserves forestières aux États-Unis, suscitant chez certains une anxiété face aux capacités pour l’industrie de retrouver les matériaux de base de sa prospérité[7]. D’autres signalent plutôt les effets imprévus du déboisement sur la qualité du milieu : les réseaux hydrographiques voient leur débit perturbé, entraînant tantôt sécheresses, tantôt inondations, avec des conséquences sur la faune, la flore et les sols environnants. Les préoccupations demeurent fortement économiques, car les critiques à l’endroit de l’activité forestière fusent des rangs des éleveurs à la recherche de pâturages, des adeptes de la pêche et de la chasse sportives ainsi que des corps des ingénieurs et des militaires responsables de la navigation intérieure et de la régulation des cours d’eau[8].

À ces usagers multiples de la forêt correspondent des solutions diverses au problème forestier, les uns préconisant d’interdire l’exploitation forestière sur certaines réserves, les autres favorisant un accès restreint au territoire forestier[9]. Entre ces deux pôles, les conservationnistes font valoir la nécessité d’appliquer les principes de la foresterie scientifique telle qu’elle s’est développée en Prusse et en Saxonie depuis la fin du xviiie siècle. Des coupes exécutées de façon sélective, en fonction de la capacité de régénération de la forêt, que ce soit naturellement ou par un travail de reforestation, assurent une production soutenue de bois et empêchent l’épuisement prématuré de la ressource ligneuse[10].

Toute activité technique en foresterie, comme la reforestation, est une intervention touchant à la fois l’environnement et la société, car elle s’accompagne d’un travail d’encadrement renforçant la puissance de l’administration étatique[11]. Ainsi, dès la fin du xviiie siècle en Prusse, et au cours du siècle suivant dans différents pays européens et dans les colonies d’outre-mer, les forestiers de l’État ont protégé les territoires menacés d’érosion et de désertification en expropriant les propriétaires ruraux, en bannissant le pâturage ou en privant les paysans de ressources végétales, alimentaires ou combustibles[12]. Loin de constituer une pratique univoque, la foresterie embrasse une multiplicité de représentations et de rapports sociaux à la forêt, et vise l’établissement d’un ordre social et naturel.

En Amérique du Nord aussi, l’introduction de la foresterie dépasse les seules considérations techniques ou écologiques. Ainsi, la décision de reboiser se fonde sur un ensemble de facteurs sociaux, économiques et politiques.

Ce sont les paysages dénudés qui stimulent dans un premier temps l’intérêt pour le reboisement et, qu’il s’agisse des nouveaux territoires à conquérir à l’Ouest, dans la Plaine centrale ou des anciennes paroisses où s’établirent les premiers peuplements, les promoteurs de la foresterie scientifique conjuguent reforestation et colonisation[13]. Ils recommandent aux colons de reboiser les terres rendues incultes, d’entretenir un lot boisé sur la ferme et de construire des brise-vent, notamment sur les prairies dénudées et sujettes à l’érosion éolienne. Les gouvernements, par l’entremise de leur ministère de l’Agriculture, se dotent de pépinières et entreprennent un travail de vulgarisation et de promotion auprès des fermiers.

La plupart des activités et des discours sur la reforestation évoluent autour des boisés de ferme jusqu’aux premières décennies du xixe siècle, d’autant plus que plusieurs tenants de la foresterie scientifique se montrent sceptiques quant à la nécessité de recourir à la reforestation artificielle à grande échelle[14]. Comme les solutions initialement préconisées pour contrer l’impact du déboisement sont le recours à une planification des opérations de coupe, peu envisagent la plantation systématique ou l’ensemencement des forêts dévastées, et recommandent plutôt des méthodes sylvicoles propres à faciliter la régénération naturelle[15]. Les forestiers invoquent une série de raisons pour éviter la reforestation artificielle. Contrairement à l’Europe, où la sylviculture intensive et la rareté du territoire forestier requièrent de raccourcir le long procès de régénération, l’Amérique possède toujours d’immenses étendues de forêt. Tout comme la foresterie scientifique, la reforestation doit être adaptée aux conditions économiques et écologiques nord-américaines. De plus, réaliser l’exploitation scientifique et la conservation de la forêt nécessite la protection des étendues actuelles en se dotant, d’abord et avant tout, des moyens de prévenir les incendies[16].

Si nous retrouvons un discours encourageant la culture des arbres sur les terres agricoles, c’est aussi parce que cette activité remplit un rôle éducatif auprès des populations rurales[17]. Les initiatives et les publications sur la reforestation par les particuliers et les gouvernements concernent donc des projets sur une petite échelle tels que les lots boisés de ferme ou les terres à l’abandon[18].

Au Québec, les adeptes de la reforestation à la fin du xixe siècle en parlent non pas comme d’une solution au déboisement de forêts, mais comme d’une façon de regarnir un paysage dénudé par une colonisation hâtive ou maladroite, que ce soit par le défrichement de terres incultes ou la destruction, volontaire ou non, des boisés de ferme. Ardent propagandiste du reboisement, Henry-Gustave Joly de Lotbinière dénonce le déboisement dont souffrent les anciennes paroisses et incite les cultivateurs à planter pour éviter une pénurie de combustibles et une perturbation des conditions agro-climatiques[19]. En plus de cultiver sur sa seigneurie des essences qu’il acclimate au territoire québécois, Joly de Lotbinière écrit dans des périodiques agricoles et dans des rapports gouvernementaux sur la nécessité de planter des arbres et plaide pour que les colons s’engagent à reboiser des parcelles de leur terre[20]. Préoccupé par la disparition des forêts dans les vieilles paroisses, il fonde la Société pour le reboisement de la Province de Québec en 1872, pour sensibiliser l’ensemble de la population, mais surtout les cultivateurs, à la conservation de la forêt et « ressusciter en quelque sorte nos forêts détruites[21] ». Partisan du conservationnisme naissant au Canada, il produit à la demande du Conseil d’agriculture du Dominion le « Rapport sur la sylviculture et les forêts du Canada » en 1878[22]. Il y promeut de nouveau le reboisement, dénonce le déboisement et le gaspillage dans la production de bois équarri et de bois de sciage, et met en garde contre l’exploitation incontrôlée des ressources.

Un autre adepte de la reforestation, Jean-Charles Chapais, dénonce la quête avide de nouvelles terres par le colon et l’invite à tempérer son ardeur à défricher. Dans son Guide illustré du sylviculteur canadien, il présente le colon comme « l’ennemi juré de la forêt » et il en dresse le portrait suivant : « Dans sa haine aveugle contre elle, il l’attaque corps à corps, et, comme il est le plus fort, il n’arrête sa hache que lorsque le dernier arbre est disparu. Quinze ou vingt ans plus tard, si sa terre n’est pas de première qualité, ce colon est obligé de la quitter, et, bien souvent, de s’expatrier, à moins qu’il ne recommence dans une autre région son oeuvre de déboisement, ou plutôt de destruction[23]. » Le colon, si souvent mis en cause pour la destruction de la forêt, que ce soit par un comportement incendiaire négligeant ou par un défrichement aveugle, doit cesser de se consacrer au déboisement pour embrasser le reboisement. Chapais lui conseille de tenir compte des besoins de ses héritiers et de se lancer dans l’entretien d’un boisé de ferme qui lui procurerait non seulement un revenu d’appoint par la vente de bois de chauffage, mais qui lui éviterait aussi des déboursés pour acquérir du combustible ou du matériel de construction.

Ces conservationnistes obtiennent une tribune inespérée lorsque se tient à Montréal, en août 1882, le second congrès de l’American Forestry Association, sous le thème de l’aménagement et de la conservation des ressources forestières[24]. Organisé par les marchands de bois de Montréal, James et William Little, le congrès de Montréal obtient un succès certain auprès de la communauté des entrepreneurs forestiers et des autorités politiques, fédérales et provinciales, qui adoptent rapidement des mesures propres à satisfaire les besoins exprimés concernant la pérennité de la ressource. Notamment, la question de la séparation des terres forestières et des terres arables ainsi que celle touchant la lutte contre les feux de forêt retiennent l’attention du commissaire des terres de la Couronne du Québec, William W. Lynch[25]. Outre qu’il embauche des gardes forestiers pour patrouiller les territoires affermés et appliquer les règlements des Terres et Bois, le commissaire Lynch tente de faire une pierre deux coups en créant une vaste réserve forestière près des affluents de la rivière des Outaouais en 1883 puis, l’année suivante, dans certains secteurs des cantons de Beauce, Compton, Wolfe, Arthabaska, Mégantic et Dorchester[26]. Il souhaite garantir ainsi aux marchands de bois un approvisionnement constant en pins et au gouvernement provincial un revenu tout aussi régulier. Du même coup, il tient à l’écart de ces territoires riches en ressources forestières les colons accusés tantôt de défricher puis d’abandonner des terres incultes, tantôt de provoquer des incendies par des feux de brûlis incontrôlés. Par contre, la mise en réserve d’un territoire important à l’usage exclusif d’un seul groupe suscite le mécontentement de partisans de la colonisation. Profitant notamment de cette grogne pour se faire élire, le gouvernement du Parti national d’Honoré Mercier abolit la politique des réserves forestières cinq ans plus tard et interdit aux concessionnaires de couper sur les lots loués aux colons sur leur concession[27].

L’adoption de mesures pour lutter contre les incendies et séparer les domaines agricole et forestier n’est pas accompagnée de la dévolution de ressources nécessaires à l’atteinte des objectifs de protection de la forêt. De plus, la forêt ne peut se régénérer assez rapidement si elle est laissée à elle-même. Or, à cette époque, l’avènement d’une industrie des pâtes et papiers encore plus vorace que pouvait l’être l’industrie du bois de sciage accentue le besoin de maintenir et d’accroître la productivité de la forêt[28]. L’implantation rapide de cette industrie au Québec exerce une forte pression sur les ressources forestières, car l’approvisionnement des usines à papier repose sur des opérations de coupe très intensives et peu sélectives.

Parce que l’industrie papetière se fait moins discriminante quant aux essences forestières qu’elle consomme, la disparition des peuplements forestiers et le paysage dénudé conséquent deviennent plus prononcés et visibles[29]. De même se spécifient les multiples rôles de la forêt quand le déboisement radical sur un bassin hydrographique donne lieu à un débit irrégulier, un problème pour les riverains affligés lors des inondations et pour les entreprises qui dépendent d’un écoulement régulier pour le transport et l’énergie[30]. Les conservationnistes gagnent de nouveau l’oreille du public, du gouvernement et de l’industrie au début des années 1900, non sans avoir amender leurs discours. À son retour de la conférence annuelle de l’American Forestry Association à Washington en 1899, Elihu Stewart, inspecteur en chef du bois et de la foresterie du ministère fédéral de l’Intérieur, réunit une dizaine d’individus, dont Joly de Lotbinière et William Little, pour fonder la Canadian Forestry Association[31]. Initialement vouée à l’encouragement du reboisement des Prairies, l’association étend son mandat pour promouvoir les méthodes scientifiques de la foresterie et diffuser l’information technique sur l’aménagement de la forêt[32]. Tout en suscitant un regain du conservationnisme, la transformation de l’industrie forestière modifie les termes du débat opposant le mouvement de colonisation aux intérêts forestiers. La solution préconisée pour résoudre le conflit demeure la séparation des domaines agricole et forestier, et le recours à la science est revendiqué spécifiquement pour fournir les données nécessaires à la classification des sols et la séparation du territoire.

Formation et structuration du Service forestier au ministère des Terres et Forêts

Si les conservationnistes souhaitent que le gouvernement intervienne pour implanter la foresterie scientifique et encadrer la colonisation, des questions demeurent quant à la capacité d’agir de l’État québécois. En effet, quels seraient les fondements d’une intervention du gouvernement provincial, alors que l’appareil scientifique dans son ensemble y est maintenu à sa plus simple expression ? Les seuls techniciens à son emploi sont, très souvent, des amis du régime qui apprennent une fois en place. Le problème réside dans l’absence d’un personnel qualifié et de moyens pour surseoir à cette carence de l’administration publique[33]. De plus, contrairement à la géologie et à l’agriculture, la foresterie n’a pas d’équivalent à la Commission géologique du Canada ou à la Direction des fermes expérimentales sur lesquelles le gouvernement provincial pourrait se reposer pour acquérir des compétences techniques. Le gouvernement fédéral dispose bien d’un Service forestier depuis 1900, mais les efforts de ce dernier concernent essentiellement les terres de la Couronne du Manitoba et du Nord-Ouest canadien où, en tant que responsable de l’administration des réserves, il encourage la plantation de brise-vent et l’entretien de boisés de ferme[34].

La situation du Québec n’a rien d’exceptionnel, car le Canada ne possède aucune école de foresterie pour former une main-d’oeuvre qualifiée contrairement aux États-Unis où se trouvent deux facultés établies depuis peu à l’Université Yale et à l’Université Cornell[35]. Mais depuis qu’ils partagent les mêmes tribunes que leurs voisins du Sud, les conservationnistes canadiens pressent leurs gouvernements de voir à la mise en place d’un enseignement forestier. En janvier 1903, dans le but d’établir sa propre école de foresterie, l’Université Queen’s de Kingston invite l’ancien forestier en chef des États-Unis, Bernhard Fernow, à donner une série de conférences[36]. Formé dans les grandes facultés de foresterie de Prusse, fondateur du Collège de foresterie de l’État de New York à l’Université Cornell, Fernow est un avocat inconditionnel de la formation scientifique en foresterie, un sujet qu’il avait abordé lors du congrès de Montréal en 1882[37].

Publiées originellement en anglais, les conférences de Fernow suscitent l’intérêt du ministre des Terres et Forêts du Québec qui les traduit et les diffuse en 1906[38]. C’est que depuis quelque temps, Gustave-Clodimir Piché, ingénieur civil à l’emploi de la Belgo Pulp and Paper Company, tente de convaincre le premier ministre Lomer Gouin de doter la province d’une école de foresterie. Gouin s’en remet au professeur de sciences naturelles et ancien recteur de l’Université Laval, Mgr Laflamme. Membre actif de la Canadian Forestry Association depuis sa fondation, Laflamme se préoccupe de l’exploitation des ressources naturelles et considère l’introduction de la foresterie scientifique au Québec comme une mesure nécessaire pour stopper le gaspillage engendré par les méthodes de coupe des industries forestières[39]. Il considère aussi que la science peut résoudre la question forestière la plus importante « celle qui a trait aux rapports qui existent nécessairement entre la colonisation et la conservation de nos forêts[40] ». Pour répondre aux interrogations du premier ministre, Laflamme s’enquiert des programmes de formation auprès des directeurs de l’École des eaux et forêts de Nancy et de l’École de foresterie de l’Université Yale. Il souhaite alors y envoyer de jeunes étudiants qui fonderont à leur retour une première école au Québec[41]. En octobre 1905, à la suggestion de Laflamme, le gouvernement envoie Piché et Avila Bédard, un finissant du Séminaire de Québec, à l’Université Yale, en échange de quoi ces derniers s’engagent à travailler pour le ministère des Terres et Forêts à leur retour.

Pendant leur séjour, Piché et Bédard accordent une attention soutenue aux travaux de reboisement[42] même si à cette époque, aux États-Unis, les quelques mentions dont fait état la presse scientifique ne mènent guère à y voir un enjeu central du monde forestier américain[43]. Plutôt que de travailler à planter une forêt qui ne sera exploitable que dans cinquante ans, les forestiers américains estiment que la grande disponibilité de la ressource ligneuse rend dérisoire toute tentative de reboisement et que la conservation de la forêt passe par son exploitation rationnelle[44]. Ce ne sera qu’après le transfert des réserves forestières au Service forestier fédéral en 1905 que le reboisement à grande échelle connaîtra un essor, avec l’établissement d’une vingtaine de pépinières à travers le pays[45].

Ce qui stimule les réflexions de Piché et de Bédard sur le reboisement, ce sont les demandes incessantes du ministère des Terres et Forêts, lui-même pressé par les compagnies papetières implantées au Québec. Notamment, la Belgo, où travaillait Piché avant son départ pour Yale, s’enquiert des méthodes pour démarrer des plantations sur ses concessions[46]. À la demande du ministre, Piché et Bédard signent un rapport où ils recommandent l’emploi de graines d’épinette rouge et détaillent les méthodes pour les cueillir sur les concessions et les semer[47]. Par après, Piché transmet directement au chef d’exploitation forestière de la Belgo des instructions touchant les futures plantations forestières de la compagnie où il conseille « de laisser les épinettes trois ans en pépinière avant de les planter à demeure[48] ». Mais craignant que la Belgo ne sabote son projet en replantant précocement ses jeunes plants, Piché recommande au ministre de « faire établir une ou plusieurs pépinières dans notre Province, destinées à rencontrer les demandes du public[49] ». De même croit-il que la disponibilité de semis inciterait plusieurs compagnies à suivre l’exemple de la Belgo. Comme il anticipe « employer [un surplus d’arbres] à reboiser les terrains incultes, les concessions détruites par les feux de forêts, ou à fixer les sables mouvants comme ceux que l’on voit le long de la voie du Pacifique Canadien, aux environs de Lanoraie[50] », Piché suggère que cette pépinière voie le jour le plus tôt possible « afin d’être prêt à rencontrer les demandes du public et à commencer nous-mêmes les reboisements dans l’avenir le plus rapproché[51] ».

Piché concrétise ce projet à son retour au Québec une fois ses études terminées. Une de ses premières initiatives à titre d’inspecteur des bois du ministère des Terres et Forêts est de parcourir la rive nord, de Lavaltrie à Berthierville, de Lanoraie à Joliette, pour proposer l’emplacement de la pépinière projetée. Il soumet au ministre un rapport concernant l’établissement d’une pépinière d’arbres forestiers[52], avec une lettre de Mgr Laflamme qui « approuve hautement cette suggestion[53] ». Outre la production et l’acclimatation d’essences pour les particuliers désireux d’entretenir des plantations, il est question de 25 000 acres « dénudés et stériles » que Piché propose de reboiser avec des pins blancs pour en faire des « terres de rapport ». Piché affirme d’ailleurs s’être entretenu avec les colons et avoir « constaté un vif intérêt à cette idée nouvelle pour eux de laisser les portions improductives de leur lot à la production du bois[54] ». Pour Piché et pour Laflamme, qui s’était prononcé en faveur de cette idée en 1906[55], le gouvernement, plutôt que le particulier, doit aller de l’avant et s’engager dans des expériences de reboisement à grande échelle. Il prolongerait ainsi la politique des réserves forestières adoptée en 1906 pour contrer les effets du déboisement[56].

À l’automne 1907, le ministère acquiert le terrain visé à Berthierville et, sous la direction de Piché, les travaux de préparation du sol, d’ensemencement et de plantation de semis commencent au printemps 1908. Cette pépinière embrasse toutefois d’autres fonctions que la seule production d’arbres. Comme Laflamme l’a souhaité, Bédard et Piché forment à leur retour « le noyau d’un enseignement forestier[57] ». En 1909, Piché recrute huit étudiants pour « aider aux travaux du printemps » ; certains proviennent de l’École Polytechnique et ont travaillé à la classification des sols et à la surveillance des opérations forestières auprès de Piché l’année précédente[58], les autres sont des finissants du programme de sciences naturelles du Séminaire de Québec[59]. À la pépinière, les tâches sont multiples : sélection des graines achetées, essais de germination, bêchage, arpentage, défrichage, cubage du bois, débitage, estimation du bois, bêchage de plates-bandes et transplantation des sujets de l’an dernier. Piché explique au ministre qu’il « leur donne très peu de théorie, juste ce qu’il faut pour expliquer les travaux que nous faisons[60] ». N’empêche, cette initiation s’inscrit dans le projet que Piché et Laflamme entretiennent de fonder une école de foresterie à l’Université Laval[61]. Pour Piché, les travaux à la pépinière permettent de recruter et de sélectionner leurs premiers sujets à l’école. Il explique ainsi à Laflamme que : « s’il y a des nullités parmi le lot, nous les attendrons en août prochain quand auront lieu les examens d’entrée[62] ». Enfin, lorsque l’École de foresterie ouvre ses portes à l’Université Laval à l’automne 1910, Piché, qui est nommé directeur[63], dispense ces étudiants d’une année de leur programme d’études.

La création de l’École de foresterie va de pair avec une réorganisation du ministère des Terres et Forêts. Principalement rassemblé dans la branche des Bois et Forêts, le personnel du ministère s’est fait connaître pour son laxisme à l’endroit des entrepreneurs forestiers. Malgré son dévouement à la cause forestière – il a entre autres vu à la création des réserves forestières et des parcs nationaux –, le chef de la branche, Jean Chrysostome Langelier, ne peut sévir contre des agents forestiers « protégés et appuyés par les députés de leurs comtés[64] ». Les éléments concourent à ce que ces agents, sans compétence spécifique au secteur forestier et employés à la saison par nomination politique, ferment les yeux quand vient le temps de surveiller les opérations forestières ou de percevoir les droits de coupe. Tout en réalisant son projet de former des ingénieurs forestiers, Piché cherche également à réformer la branche des Bois et Forêts à laquelle il est attaché à titre d’inspecteur. Il rassemble quelques élèves autour de lui et de Bédard dans un service forestier, « nom donné au corps d’agents et de gardes travaillant sous la direction de l’Ingénieur forestier et de son assistant, aux travaux d’exploration, de classification, de protection des domaines de la Couronne, de contrôle des opérations forestières, et de préparation des comptes pour les bois coupés illégalement[65] ». Ce qui distinguera ces agents du personnel de la branche des Bois, c’est la formation qu’ils auront reçue. Le Service forestier que Piché dirige à compter de 1909 est un corps de techniciens rompus aux méthodes de la foresterie scientifique acquises sur le site de la pépinière. À partir de 1910, après le décès de Langelier, Piché étend l’organisation du service à l’ensemble de la province tout en centralisant la direction des activités au bureau de Québec. Il y réunit de jeunes hommes façonnés sur mesure, en même temps que les employés de la branche des Bois et Forêts, devenus gardes forestiers, sont déclassés graduellement par les diplômés de l’École de foresterie qui prennent le titre d’agent forestier[66].

Avec une école dont le corps professoral se compose de quelques membres du Service forestier, Piché peut concevoir un programme qui correspond à ses politiques. Le Service forestier forme le personnel dont il a besoin pour implanter ses programmes administratifs et scientifiques, en sachant que les diplômés de l’École de foresterie trouveront de l’emploi au ministère ou en entreprise privée, notamment chez les concessionnaires forestiers responsables d’implanter les politiques du ministère. En 1914, 18 des 27 diplômés de l’École seront à l’emploi du ministère des Terres et Forêts, les 9 autres travaillant ailleurs au gouvernement ou dans l’entreprise privée[67]. Entre 1910 et 1940, 66 des 181 diplômés de l’École travailleront au ministère des Terres et Forêts ; une vingtaine d’autres joindront les rangs du ministère de la Colonisation, surtout après 1925 quand il deviendra responsable de la classification des sols. L’industrie forestière en emploiera 35 et la majorité des 42 ingénieurs-conseils travailleront auprès de l’entreprise ou du gouvernement pour exécuter les inventaires forestiers exigés par une loi de 1922[68].

En établissant le Service forestier, Piché entend « créer un corps indépendant animé d’un réel esprit de droiture, et qui s’imposera au respect du pays et même des politiciens[69] ». Il souhaite ainsi répondre au désir du premier ministre de rétablir la confiance du public envers l’administration des Terres et Forêts. Bien sûr, l’École de foresterie devient nécessaire pour recruter un tel personnel, mais pour Piché, il ne s’agit pas uniquement de donner une éducation spéciale. Il faut aussi « inculquer à chacun de ses membres les mêmes vues, les mêmes idées touchant les questions forestières[70] ». Piché ne voit dans les débats sur la limite du diamètre de bois coupé, qui forment l’essentiel des politiques gouvernementales des dernières décennies[71], que des « discussions puériles » et y oppose « des modes de traitement nouveau », que « seul un personnel instruit peut […] prescrire et en diriger l’application[72] ». Le reboisement, qu’il enseigne à l’École de foresterie[73], est un de ces modes de traitement nouveau. Il s’intègre à un programme de formation et à une politique forestière propres à légitimer l’action gouvernementale. Il apparaît également comme un outil de connaissance pour modeler le couvert forestier et envisager la séparation du domaine forestier et du domaine agricole.

Stratégie gouvernementale de reforestation et plantations industrielles

À travers leur apprentissage, les étudiants s’initient aux modalités et aux finalités du reboisement. Depuis la création de la pépinière provinciale de Berthierville, la formation en foresterie comprend des séances théoriques et pratiques touchant la « régénération artificielle[74] ». Celle-ci intègre le programme de l’École de foresterie dès sa fondation, car les étudiants suivent des cours à la pépinière et y effectuent des stages pratiques. En effet, les règlements généraux de l’École forestière stipulent, au chapitre des travaux techniques et de l’enseignement, que : « À la fin de l’année, ils [les élèves] devront présenter un rapport sur le travail de reforestation qu’ils auront fait à la pépinière de Berthierville ou ailleurs[75]. » Chaque printemps, les étudiants viennent faire à Berthierville leur « noviciat[76] » et seconder les employés gouvernementaux dans l’envoi de matériel et dans les travaux d’ensemencement et de transplantation. Pendant l’été, ils participent aux activités techniques et expérimentales du Service forestier, qui incluent des programmes de recherche sur les systèmes sylvicoles et sur la culture d’arbres indigènes et exotiques[77]. Cette complémentarité entre les activités de recherche du Service forestier et la formation de l’École de foresterie se reproduit après la création de l’École des gardes forestiers en 1923 et celle de la Station expérimentale en 1930, toutes deux sur le site de la pépinière provinciale[78].

Les premiers enseignements sur le reboisement, comme les premiers travaux du Service forestier dans ce domaine, portent sur les terres déboisées et soumises à un procès de désertification sur le territoire de la pépinière de Berthierville. Piché s’inspire de l’expérience française dans les Landes où l’emploi de gourbets avait permis de reboiser les dunes pour mettre en valeur cette terre abandonnée ensevelie par des sables mouvants[79]. Piché croit que la création d’une forêt artificielle sur des déserts causés par l’activité humaine peut convaincre la population rurale environnante de la possibilité de ramener un sol infertile à une fonction productive par la culture des arbres[80]. Le Service forestier reprend ce travail dans le comté d’Argenteuil dans les basses Laurentides entre 1912 et 1925. Avila Bédard recrute des diplômés de l’École pendant les premières semaines de mai pour reboiser des dunes de sable à Lachute[81]. L’expérience sera reprise aux Îles-de-la-Madeleine à la fin des années 1920[82].

Le Service forestier porte ses activités spécifiquement sur des parcelles dénudées par le feu ou des coupes intensives et évite le reboisement de larges bandes forestières sur les concessions affermées[83]. Piché considère que face au risque d’incendie, la seule action raisonnable est de laisser la nature « s’occuper de ramener elle-même la forêt[84] ». Dans son premier rapport annuel, le chef du Service forestier annonce ainsi ses couleurs : « On entend beaucoup de gens dire qu’il faudrait s’occuper de reboiser les brûlés, etc. Je ne suis pas partisan de ce travail sur une grande échelle. Je suis en faveur de remettre en bois les parcelles dénudées par l’exploitation ou par l’incendie seulement là où nous pourrons être certains que les feux ne viendront pas ruiner ces travaux[85]. » L’allocation de ressources à la reforestation artificielle est à risque aussi longtemps qu’une organisation efficace de protection contre les incendies ne sera pas mise en place. Il en tient aux concessionnaires forestiers de voir à la régénération forestière de leur territoire[86].

Est-ce à dire que le ministère des Terres et Forêts se désintéresse des concessions forestières et du bois à pâte qu’on y coupe ? Si le gouvernement hésite à se lancer dans des interventions à grande échelle sous les recommandations de son personnel, il faut savoir aussi que certaines compagnies papetières ont entrepris de reboiser une partie de leurs concessions, tandis que d’autres entretiennent une pépinière[87]. D’ailleurs, c’est en réponse à leurs correspondances que Piché et Bédard effectuent certaines recherches sur le reboisement depuis Yale. Contrairement à l’industrie du sciage – qui relocalise aisément ses scieries à proximité de nouveaux peuplements – les papetières ont moins de mobilité. Considérant les coûts fixes élevés des usines à papier et leur infrastructure sociale et économique, il paraît peu coûteux de planter de nouveau une forêt quand la ressource est épuisée. Les décisions de reboiser, même si elles semblent ici basées entièrement sur des considérations financières, témoignent de la marge de manoeuvre de forestiers conservationnistes dans les entreprises.

Comme le démontre l’exemple de la Laurentide Paper Company en Mauricie, de grandes papetières reconnaissent la valeur des plantations[88]. Entre 1908 et 1912, Ellwood Wilson, chef de la Division forestière de la Laurentide, mène une série d’études pour engager les dirigeants de la compagnie dans un programme de plantation et de reboisement de ses concessions. Selon Wilson, le reboisement serait plus profitable que l’exploitation intensive des forêts éloignées. En effet, les meilleurs arbres de la Vallée de la Mauricie sont déjà consommés par les scieries, et la compagnie doit se déplacer vers les parties septentrionales de ses concessions pour couper le bois[89]. Se rendre sur ces territoires, puis en ramener le bois constitue un défi puisque les infrastructures routières sont inexistantes, sinon insuffisantes, et que le flottage du bois sur la rivière Saint-Maurice est une expérience longue, dangereuse, risquée et coûteuse[90]. Wilson tente d’abord d’intéresser le ministère des Terres et Forêts à l’achat, pour le reboisement, de terrains vacants à proximité de Grand’Mère, mais Piché fait valoir son engagement à reboiser d’abord les environs de Berthier et son espoir que ces « expériences et travaux seront suivis attentivement par le public et créeront beaucoup plus de tentatives du même genre de la part des particuliers[91] ». Wilson se tourne alors vers les dirigeants de la Laurentide pour l’achat de ces terres. Il y crée une pépinière (voir illustration), puis il engage la compagnie dans un programme de reforestation entre 1912 et 1931[92].

Plantation de la Laurentide à Grandes Piles.

Plantation de la Laurentide à Grandes Piles.
Collection René Hardy, Groupe de recherche sur la Mauricie, Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ-UQTR).

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Bien qu’il clame que seuls les concessionnaires sont responsables de regarnir les grandes étendues forestières, Piché n’est pas indifférent aux travaux de reboisement des papetières et il fonde les activités du Service forestier précisément sur les besoins de cette industrie. Grâce à la pépinière provinciale, le Service forestier fournit des techniciens et les arbres nécessaires à la production d’une forêt de bois à pulpe au Québec. Les demandes de concessionnaires font de l’épinette blanche le plant le plus prisé de Berthierville dès 1917 (voir tableau), même si dans les premières années, les plantations se composaient principalement d’arbres ornementaux, de bois dur ou d’un pin blanc victime de la rouille vésiculeuse au cours de la seconde décennie du xxe siècle. Pour les forestiers, un facteur clé dans la sélection des essences cultivées en pépinière est la vitesse de croissance, puisque l’objectif principal est d’accélérer un procès considéré trop lent pour asseoir la durabilité des opérations forestières[93]. L’arbre doit disposer d’autres caractéristiques communes aux travaux en amélioration végétale comme la résistance au gel et aux maladies. Surtout, elle doit correspondre aux exigences de la production papetière, peu importe si elle pousse sur des dunes, la terre agricole ou les concessions forestières des compagnies de pâtes et papiers. Bien que l’épinette soit un bois de sciage reconnu, elle est surtout appréciée pour la qualité de sa fibre ligneuse. C’est ce critère seulement qui oriente la production et la distribution de plants de la pépinière provinciale[94].

Une demande industrielle, principalement de la Laurentide mais impliquant aussi d’autres compagnies de pâtes et papiers (9 d’entre elles ayant reboisé 40 500 acres de terres de la Couronne entre 1908 et 1929, employant 23 300 000 arbres et 143 000 livres de semences[95]), oriente alors la production et la distribution de jeunes plants à Berthierville. L’épinette blanche, en particulier, est une essence hautement prisée par la Laurentide qui, depuis 1916, étend la capacité de sa pépinière en plaçant une commande annuelle à la pépinière provinciale[96]. Wilson, qui avait acheté les premiers arbres et semences du gouvernement de l’Ontario, se tourne vers Berthierville pour organiser la pépinière de la Laurentide à Proulx en 1912[97]. Située à quelques milles au sud de l’usine, la pépinière doit la fournir en partie avec du matériel poussé sur place, en partie avec du matériel acheté à Berthierville. Ce schème se maintient jusqu’en 1924 quand la pépinière de la Laurentide atteint l’autosuffisance. L’épinette compose la majeure partie des quelque 20 millions d’arbres que la Laurentide plante entre 1908 et 1930[98].

Tableau 1

Distribution de jeunes plants de la pépinière de Berthierville

Distribution de jeunes plants de la pépinière de Berthierville
Source: RMTF, années concernées.

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L’influence de l’industrie papetière sur le travail de plantation et de reforestation du Service forestier devient encore plus manifeste lorsque, durant la Dépression, les compagnies abandonnent leurs activités de reforestation. En 1931, la Canadian Paper and Power Corporation, qui a absorbé la Laurentide quelques années auparavant, conclut une entente avec le Service forestier pour l’entretien de la pépinière de Proulx[99]. Des difficultés financières et des arrérages de droits de coupe obligent la compagnie à donner en garantie la pépinière au ministère[100]. L’entente stipule que le Service forestier est responsable pour cinq ans de cette pépinière après quoi, si la compagnie refuse de rembourser les coûts d’entretien, la pépinière passe sous la propriété gouvernementale[101]. En octobre 1931, la CPPC annonce à Wilson que la nouvelle organisation ne pourra employer ses services ; les banques scrutent chaque dépense et aucune somme d’argent ne peut être consacrée au reboisement[102]. Il est clair que la compagnie ne compte pas poursuivre le travail de son forestier qui la quitte pour l’École de foresterie de l’État de New York[103]. Le 28 février 1936, la CPPC abandonne définitivement la pépinière.

Bien que le reboisement pour le ministère et pour l’entreprise privée ne semble pas s’inscrire dans une stratégie similaire, l’une visant plutôt à stopper la désertification sur des terres privées abandonnées, l’autre à reconstituer un capital sur des terres de la Couronne affermées, les activités de leur pépinière demeurent somme toute identiques. C’est en considérant le sort de la pépinière de Proulx que nous comprenons à quel point reboisement privé et reboisement public se rejoignent. Que le Service forestier possède les compétences techniques pour planter vingt millions d’épinettes blanches indique combien ses engagements antérieurs correspondaient aux stratégies de reforestation de l’industrie des pâtes et papiers. Mais où aboutirent ces jeunes plants ? Et comment ce travail de reforestation s’inscrit-il dans les politiques du ministère ?

La séparation des domaines forestier et agricole : la reforestation des réserves cantonales

Par les activités de formation qui y prennent place, la pépinière de Berthierville se trouve au centre d’un réseau d’institutions gouvernementales à l’origine de l’implantation de la foresterie scientifique au Québec. Elle devient aussi un levier pour reconquérir le domaine forestier perdu à la colonisation et étendre le contrôle du ministère des Terres et Forêts sur le territoire. Entre autres, les antagonismes opposant les colons aux marchands de bois se poursuivent malgré l’abolition des réserves forestières en 1888. D’abord, le parti conservateur crée les parcs nationaux des Laurentides et de la Montagne Tremblante en 1895 après son retour au pouvoir[104]. Le gouvernement attribue à ces parcs des objectifs de protection des bassins hydrographiques et d’études même si, dans la pratique, ils constituent des réserves forestières ; les concessionnaires continuent de jouir des privilèges que leur confère leur billet de location sans craindre l’empiètement des colons puisqu’aucun lot n’est à vendre dans ces réserves[105]. Ensuite, la croissance de l’industrie papetière accentue la compétition entre défricheurs et concessionnaires pour s’approprier la matière ligneuse sur les terres de la Couronne. Les rapports sont d’autant plus conflictuels que le gouvernement cherche à éviter l’exportation du bois de pulpe pour stimuler la production de pâte au Québec. Or il n’exerce aucun contrôle sur les terres privées, où de faux colons – des détenteurs de billets de location qui n’ont aucunement l’intention de s’établir – coupent du bois que des entrepreneurs achètent et exportent, au détriment de concessionnaires qui voudraient bien accéder à ce bois pour approvisionner leurs usines[106]. Enfin, le gouvernement institue la Commission de colonisation de la province de Québec en 1902 avec, comme mandat, « de s’enquérir du nombre et des causes des conflits entre les colons et les porteurs de licences de coupe de bois, et d’aviser au moyen de les prévenir et les faire disparaître[107] ». À cet effet, les commissaires réitèrent la nécessité de séparer le territoire selon sa vocation colonisatrice ou forestière[108].

La classification s’avère une entreprise complexe, nécessitant des compétences scientifiques et un inventaire détaillé des terres de la Couronne. Ce n’est qu’après le transfert de la surveillance des coupes sur les terres de colonisation au ministère de la Colonisation en 1921, puis la création d’un bureau de classification et d’utilisation des sols forestiers au Service forestier en 1924, que la classification des sols permet la séparation définitive du domaine forestier et du domaine de la colonisation[109]. Entre-temps, le ministère des Terres et Forêts procède tacitement à une séparation du territoire après le dépôt du rapport de la Commission de Colonisation[110]. C’est dans ce sens qu’il crée des réserves forestières, d’abord en continuité avec la politique des parcs nationaux de 1895, puis en 1906, en réaménageant la loi des parcs nationaux[111]. Par arrêtés en conseil, la réserve forestière gaspésienne voit le jour le 28 avril 1905[112], suivie des réserves forestières de Rimouski, du Saguenay et du Labrador en 1906, puis des réserves Ottawa, Saint-Maurice et Chaudière en 1907[113]. À ces territoires interdits d’accès aux colons succèdent d’autres réservés à leur usage exclusif. Tel est le lot des réserves forestières cantonales que le gouvernement crée en 1911 au moment où il porte son attention sur la mise de côté de terres incultes et vacantes dans les régions colonisées. Sous la supervision de gardes forestiers, ces réserves doivent assurer un approvisionnement de bois de construction et de chauffage aux habitants des villages[114]. Le ministère souhaite également mousser la détermination et l’intérêt des colons à protéger la forêt en procurant une connaissance directe de la foresterie et en promouvant un sentiment de propriété commune de la forêt[115].

Les réserves cantonales assoient sur de nouvelles bases le discours conservationniste à l’endroit des colons, notamment pour que cessent les oppositions entre les intérêts forestiers et le mouvement de colonisation. Ces desseins se retrouvent dans le rapport de la Commission de colonisation qui présente l’industrie papetière comme « l’auxiliaire naturel » de la colonisation, car « elle procure au colon le moyen de faire de l’argent avec le petit bois de défrichement qu’autrement il serait obligé de brûler sur place pour nettoyer sa terre[116] ». C’est ainsi que la relation entre le colon et la forêt trouve une avenue supplémentaire, alors qu’on destinait autrefois le produit du défrichement au bois de chauffage ou de construction. Pour les commissaires, « il est dans l’intérêt de la colonisation de stimuler autant que possible le développement de cette industrie[117] ». De même, le reboisement cesse d’être la seule responsabilité du colon – que la propagande engageait à entretenir un lot boisé de ferme – et devient une affaire d’État quand celui-ci se lance dans l’aménagement des réserves cantonales. Les activités du Service forestier modifient toutefois la fonction de ces réserves dans le paysage de la colonisation en fournissant le personnel et le matériel pour construire des forêts de bois à pâte. Non seulement la culture des arbres prend place sur une terre allouée à la colonisation, mais en plus la fonction économique du territoire forestier réservé aux colons est détournée à l’usage des usines à papier. D’ailleurs, le ministère y interdit « la coupe de certains arbres précieux, comme le pin et l’épinette, lorsque nous ne sommes pas satisfaits de leur proportion dans la forêt, ou de leur distribution à travers celle-ci[118] ».

À la jonction de l’introduction de la foresterie scientifique et de la reconquête du territoire, les développements initiaux de la pépinière de Berthierville illustrent comment les activités du service forestier participent à la séparation du domaine forestier et du domaine agricole. En 1907, le ministère des Terres et Forêts avait acquis une ferme abandonnée depuis six ans pour y établir sa pépinière. Sur une première section de la terre mesurant 30 acres, Piché et Bédard plantèrent des arbres destinés à la reforestation comme des pins et des mélèzes ainsi que des essences exotiques qu’ils cherchèrent à acclimater. Une seconde section de la terre mesurant 40 acres servit à des fins agricoles, avec la culture de céréales et de pommes de terre. Dans son premier rapport annuel, Piché souligna la complémentarité harmonieuse des activités agricoles et forestières en décrivant entièrement le travail sur la ferme et en présentant des données sur les rendements des cultures, les techniques de rotation et de fertilisation, et la fertilité des sols[119]. Pour le directeur du Service forestier, la ferme avait une vocation de démonstration pour encourager les fermiers à reboiser leurs terres infertiles avec un lot boisé. Par contre, à mesure qu’augmenta la surface dédiée à la pépinière, en partie pour répondre à une demande croissante des compagnies papetières, la compatibilité des activités agricoles et forestières fut compromise. L’espace pour ensemencer et transplanter des arbres empiéta sur la surface consacrée à l’agriculture et, en 1918, le Service forestier cessa définitivement ses activités agricoles à Berthierville après les agrandissements successifs de la pépinière et la construction d’un séchoir à semence[120].

Le procès de reconquête à Berthierville, à la base des pratiques scientifiques du Service forestier et de la formation à l’École de foresterie, apparaît comme un microcosme des activités de reforestation à l’échelle de la province. Les sables de Berthierville sont un cas du phénomène de désertification affectant des terres concédées aux colons, et que le Service forestier tente de récupérer avec l’aide des étudiants de l’École de foresterie. Tel que nous l’avons mentionné plus haut, le Service forestier poursuit ses travaux de reboisement sur des parcelles dénudées par le feu ou les coupes intensives : le reboisement vise à rendre productive une terre devenue infertile et à éduquer les gens quant à l’importance de la conservation de la forêt et de la reforestation[121]. Aussi refuse-t-il de s’engager à grande échelle sur des concessions forestières jusqu’à ce que les entreprises mettent en place un système de protection contre les incendies. D’ailleurs, Piché reconnaît en 1925 le peu de progrès accompli en dehors des terres désertiques depuis dix ans[122].

Toutefois, la multiplication des organisations de lutte contre les incendies et l’efficacité de leur travail de protection (Piché va jusqu’à affirmer que « le problème du feu est pour ainsi dire résolu » en 1920[123]) encouragent le Service à augmenter son personnel pour démarrer un programme intensif de reforestation des lots vacants dans les municipalités rurales et les réserves cantonales. Il faut dire aussi que le Service forestier vient de perdre aux mains du ministère de la Colonisation la surveillance des coupes sur les terres de colonisation et que l’intensification des activités d’aménagement forestier dans les réserves cantonales lui conférerait une certaine prise sur les coupes des particuliers. En 1925, à la demande de Piché, qui souhaite implanter un programme de reboisement de plus de deux millions d’acres de terre, l’Assemblée nationale vote un crédit annuel de 100 000 $ pour « promouvoir, aider et encourager le travail de reforestation, par la cueillette de semence, le maintien de pépinières, l’acquisition de terres, la reforestation, la distribution de jeunes plants, ainsi que par la plantation d’arbres forestiers et d’ornements dans la province[124] ».

Les premières visées par ce programme de reboisement sont les municipalités qui, selon Piché, sont responsables des incendies qui prennent naissance sur leur territoire avant de se propager vers les concessions forestières[125]. Des débris de coupe jonchent le sol des lots boisés abandonnés qui ne sont soumis à aucun aménagement, ni à une surveillance qui permettrait de limiter l’étendue des incendies s’y déclarant. En 1922, le gouvernement vote une loi qui permet aux municipalités d’acquérir des terres abandonnées par leurs propriétaires en échange d’impôts impayés. Si l’objectif de lutter contre les incendies est réitéré, des considérations fiscales incitent également le gouvernement à promulguer cette loi qui souhaite transformer : « […] les terres abandonnées à la charge des municipalités pour le défaut de paiement des taxes en forêts génératrices de revenus et constituant un appoint important de richesses naturelles[126] ». Toutefois, la forêt municipale que le Service forestier souhaite créer participera au développement industriel de façon très spécifique : « ces terrains pourraient fournir chaque année plus d’un million de cordes de bois de pulpe s’ils étaient aménagés et cultivés intelligemment, soit autant que les usines canadiennes en consomment actuellement et autant que nous exportons chaque année aux États-Unis[127] ». Pour ce faire, Piché propose de répéter la stratégie employée pour la reconquête des dunes de sable de Lachute, soit l’achat par le ministère de terres rasées et dénudées dans le but de les reboiser et de les revendre à leur propriétaire original[128]. La municipalité peut alors « obtenir un titre parfait à ces terrains et s’en servir pour constituer le noyau d’une forêt communale ou urbaine[129] ». Si une municipalité refuse de participer au programme, le ministère des Terres et Forêts prend possession de la terre pour la reboiser et l’astreindre au régime des réserves cantonales. C’est d’ailleurs le sort que Piché réserve aux dunes de Lachute lorsque, devant le refus des propriétaires originaux de racheter leur terre entièrement reboisée tel qu’il avait été entendu en 1912, le ministère fait des peuplements qu’il a créés une réserve forestière cantonale[130].

Sans la collaboration des municipalités nullement intéressées par la constitution de forêts communales, Piché doit concentrer les efforts de reboisement du Service forestier dans les réserves cantonales. Bien qu’il ait créé ces réserves pour subvenir aux besoins en bois des colons, le ministère des Terres et Forêts en vient rapidement à apprécier leur rôle éventuel dans le développement régional. Au fur et à mesure que leur nombre augmente (voir figure), il prévoit qu’elles pourront fournir la matière nécessaire à l’émergence de petites industries et créer du travail pour les fermiers en dehors de la saison[131]. En 1922, des gardes forestiers commencent la plantation d’épinettes et de pins dans les réserves forestières des cantons de Parke et de Kénogami « pour compenser la lenteur de la régénération naturelle[132] ». Malgré les coupes illégales, le régime des réserves cantonales permet au ministère des Terres et Forêts de protéger de grandes étendues forestières et les travaux de reboisement qu’il y effectue. Il consacre cette approche en classant en réserve forestière permanente la plupart des réserves cantonales[133]. Le Service forestier étend alors son programme de reforestation au-delà de la simple reconquête de terres désertiques ou de lots vacants, en même temps que la pépinière provinciale se multiplie en un réseau de plus petites pépinières pour approvisionner les réserves cantonales en jeunes plants adaptés aux conditions climatiques locales. À partir de 1930, les pépinières secondaires de Macpès, Amos et Normandin desservent les besoins régionaux de la douzaine de réserves cantonales faisant l’objet de travaux de reboisement[134].

Au cours des années 1930, le Service forestier assure dorénavant la pérennité de la ressource en inscrivant le reboisement de larges bandes forestières dans son mandat, et il se substitue aux compagnies qui abandonnent leur travail de reboisement dans la foulée de la crise économique. Au début de la décennie, Piché annonce : « Nous nous proposons d’arriver, avant dix ans, à pouvoir planter au moins cinquante millions d’arbres par an, afin de réaliser le programme que nous a tracé l’honorable M. Mercier, ministre des Terres et Forêts, lorsqu’il nous a demandé de nous organiser pour planter au moins deux fois autant d’arbres que l’on coupera chaque année[135]. » Bien que le Service forestier doive réduire son travail de reforestation et la distribution de plants de la pépinière provinciale à la suite d’une diminution de la demande des concessionnaires dès 1931[136], il peut néanmoins accélérer le reboisement des réserves cantonales après l’acquisition de la pépinière Proulx la même année. Même si l’entente avec la Canadian Paper and Power Corporation prévoit que la papetière reprendra la pépinière après avoir remboursé les coûts d’entretien, le Service forestier veut surtout éviter la perte de plus de 12 millions de jeunes plants à la pépinière Proulx[137]. Il entreprend alors de les transférer dans ses pépinières secondaires ou de les planter sur ses réserves. En 1938, ce réseau comprend huit pépinières secondaires : Berthier, Proulx, Trecesson, Normandin, Roberval, Parke, Macpès et Ouimet. Le Service y entretient un stock de jeunes arbres à des fins de reboisement, avec une production variant entre quatre et cinq millions de plants. De plus, la pépinière provinciale de Berthierville approvisionne en semences ces pépinières secondaires après la construction d’une graineraie pour le traitement et l’extraction de plusieurs milliers de cônes.

Figure 1

Évolution des réserves cantonales, en nombre et en superficie

Évolution des réserves cantonales, en nombre et en superficie

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Tout ce réseau contribue à reboiser le nombre croissant de réserves cantonales ; le Service en compte 122 couvrant 942 000 acres en 1938 (il y avait 17 réserves cantonales couvrant 265 000 acres en 1922). Il y plante 21 081 206 arbres, principalement de l’épinette blanche de Proulx ou de Berthierville, et y sème 44 964 livres de semences sur environ 50 000 acres entre 1925 et 1938[138]. Si, à la fin des années 1930, le Service forestier ne peut atteindre les objectifs de reforestation énoncés par son chef au début de la décennie, la Dépression a certes permis au Service de perpétuer une politique de reforestation ciblant la création de forêts de bois à pâte à travers la province.

Conclusion

L’historiographie a souvent relaté l’envoi de Piché et de Bédard à l’Université Yale, puis leur retour au ministère des Terres et Forêts où ils fondèrent successivement la pépinière de Berthierville en 1908, le Service forestier en 1909, l’École de foresterie de l’Université Laval en 1910 et les réserves forestières cantonales en 1911[139]. Plutôt que voir la création de ces institutions comme quatre moments distincts dans l’introduction et le développement de la foresterie scientifique au Québec, nous avons tenté de cerner la cohérence de cette initiative autour de la reforestation. En effet, non seulement le Service forestier et l’École de foresterie prennent forme sur le terrain de la pépinière provinciale de Berthierville, mais la reforestation, comme pratique et objet de connaissance, occupe une place centrale dans le programme de formation et les politiques du ministère pour un développement industriel que ne doit pas entraver le mouvement de colonisation.

Dans l’ensemble, trois facteurs encadrent l’introduction de la foresterie scientifique au Québec : la croissance de l’industrie papetière, le conflit entre les colons et les forestiers et les discours sur le déboisement. Laissée à elle-même, la forêt ne pouvait répondre à une demande industrielle spécifique comme l’exigeait l’essor de l’industrie des pâtes et papiers. Au début du xxe siècle, le ministère des Terres et Forêts se dotait d’un appareil scientifique et technique qui participait aux interventions visant le développement industriel des pâtes et papiers. Le gouvernement provincial ne cherchait pas tant à répondre directement aux demandes de l’industrie qui, par ses plantations industrielles, voyait à la régénération de ses concessions, qu’à supporter, par ses interventions, le développement économique du Québec. Il lui importait de créer des forêts de bois à pâte et de stabiliser les oppositions entre le mouvement de colonisation et les exploitants forestiers. Lorsque les compagnies abandonneront le reboisement et les pépinières en 1930, le ministère pourra prendre en main ces activités précisément parce que ses investissements précédents s’inscrivaient dans une mission touchant le reboisement de la forêt en bois à pâte, celui-là que pratiquaient les compagnies.

Soulignons enfin la dimension normative du reboisement. L’examen des activités scientifiques du ministère des Terres et Forêts dans la première moitié du xxe siècle nous indique comment une pratique centrale de la foresterie scientifique au Québec, la reforestation, renouvelle les perspectives sur la forêt et ses paysages, et comment celles-ci participent aux politiques sociales et économiques du ministère des Terres et Forêts de la province de Québec. La reforestation appelle une représentation spécifique de la forêt en regard des essences qu’elle promeut et une formation tout aussi spécifique du paysage forestier. L’interventionnisme de l’État ne se limite pas à la plantation d’arbres, mais embrasse également la société et l’économie. Loin de s’astreindre à la réalisation d’un paysage, le reboisement participe à la régulation du développement économique et à la séparation du domaine forestier et du domaine agricole. Outre le façonnement de l’environnement forestier, l’épinette blanche et la foresterie scientifique trouvent leur pendant normatif dans la reconquête des terres abandonnées et l’encadrement de la colonisation.