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René Verrette a publié différents travaux et participé à diverses recherches sur la région de la Mauricie. Dans le présent ouvrage, qui est une édition de sa thèse de doctorat, il explore les discours individuels et collectifs de développement régional et sous-régional des élites mauriciennes sur le plan de l’espace, du temps et du rapport à l’Autre. L’auteur étudie la Mauricie au cours de la période 1850-1950. Il explique ainsi sa périodisation : les années 1850 sont marquées par l’essor de l’exploitation forestière, alors que le milieu du xxe siècle correspond à la fin d’une phase accélérée des processus d’industrialisation et d’urbanisation qui ont débuté une soixantaine d’années plus tôt. Enfin, le rapport à l’Autre est présenté comme un facteur favorisant l’identité collective. L’Autre n’est pas seulement l’étranger ou le pays lointain, mais aussi la ville voisine, la région voisine.
L’auteur aborde les discours de développement à travers l’exploitation des ressources, l’aménagement des voies de communication, l’industrialisation et l’urbanisation, le développement du pôle trifluvien et finalement à travers « l’ensemble de représentations relatives à l’identité collective ». Autour de ces choix sont construits les cinq chapitres de l’ouvrage. S’ajoutent une bibliographie ainsi que diverses annexes, dont deux particulièrement intéressantes sur les projets de chemin de fer en Mauricie et sur une typologie des discours de développement.
Dans le premier chapitre, l’auteur analyse comment les élites ont légitimé discours et actions en faisant leur les enjeux soulevés par l’exploitation des ressources. À propos des discours de développement des membres du clergé et des professions libérales, l’auteur conclut que l’idéologie clérico-nationaliste mauricienne ne se distingue guère de celle du reste de la province et qu’elle contribue au maintien de l’ordre établi. Sur ce dernier point, il faudrait peut-être apporter des nuances. En acceptant la modernisation de l’agriculture, notamment en soutenant l’adoption des fabriques, ces mêmes élites ouvraient en effet la porte à des changements majeurs. L’auteur note également, avec justesse, que la presse locale a soutenu le développement économique et qu’elle a contribué à l’affirmation identitaire de la Mauricie.
Le chapitre 2 traite de l’aménagement des voies de communication, en privilégiant les enjeux soulevés par la navigation fluviale et les installations portuaires et par les tracés des voies ferroviaires. Ici, comme dans d’autres régions, les Mauriciens comprennent rapidement que la prospérité passe par les voies de communication. Eux aussi partent à la conquête du back country que constitue le Saguenay. Ils sont alors en lutte contre les habitants de la ville de Québec, leur prêtant l’intention de les déposséder de cet arrière-pays qui leur revient de droit. À cet égard, dans le dossier des voies de communication, ajoutons qu’ils adoptent une position semblable à celle des élites charlevoisiennes, elles aussi désireuses d’établir des relations privilégiées avec le Saguenay et voyant la ville de Québec comme une rivale. Et comme dans Charlevoix, l’argumentation sur les voies de communication relève aussi de l’affirmation de l’identité régionale.
Le troisième chapitre s’attarde à la transformation industrielle de la Mauricie et à son urbanisation. Il est surtout intéressant de découvrir comment la rivière Saint-Maurice, par son potentiel hydroélectrique, contribue à l’affirmation régionale. De nouveaux pôles industriels naissent, donnant vie aux villes de Shawinigan, de Grand-Mère et de La Tuque. Le développement rapide des nouvelles villes attise la ferveur du milieu trifluvien. Les regards de l’étranger et des régions voisines sur la Mauricie contribuent à l’identité régionale et à l’action des représentants du milieu. Conseils municipaux, Chambre de commerce, députés, gens d’affaires et autres groupes d’intérêts se font alors promoteur de la région.
Le cas particulier de Trois-Rivières, et des discours reliés à la venue de la grande industrie dans cette ville à compter du début du xxe siècle, fait l’objet du quatrième chapitre. L’enthousiasme est sans limite, des publicités du Nouvelliste annonçant même que bientôt seule Montréal devancera leur ville. Il ressort notamment de ce discours non seulement le rôle que tend à assumer Trois-Rivières, mais aussi le partage obligé de son influence.
Entre les réussites et les échecs, entre la tradition et le progrès, entre la réalité et le rêve, il est possible, surtout dans le chapitre 5, de découvrir comment se sont exprimées les représentations des discours de développement à travers diverses manifestations de l’imaginaire collectif. L’auteur remarque, entre autres, l’affirmation de Trois-Rivières comme pôle d’une région économique et d’une région d’appartenance en gestation.
Cette étude est particulièrement instructive en ce qui concerne le rôle des élites dans la naissance et la construction de l’espace identitaire régional. Elle est aussi riche à propos de la diversité des discours de développement, lesquels évoquent les aspects positifs et négatifs de l’industrialisation et de l’urbanisation. Les observations faites par l’auteur tout au long de l’ouvrage m’ont suggéré des comparaisons possibles avec d’autres régions, ce qu’il propose, par ailleurs, dans sa conclusion pour des régions dont la dynamique de développement est comparable à celle de la Mauricie. Pareille comparaison pourrait aussi être étendue à de petites régions au développement économique limité. Là aussi les discours sur l’affirmation régionale semblent être reliés au développement social et économique et au rapport à l’Autre.