Comptes rendus

COATES, Colin M. et Cecilia MORGAN, Heroines and History : Representations of Madeleine de Verchères and Laura Secord (Toronto, University of Toronto Press, 2002), 368 p.[Record]

  • Jan Noel

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  • Jan Noel
    Département d’histoire
    Université de Toronto

Ce très vivant ouvrage mérite une vaste audience. Le moindre de ses mérites n’est pas de proposer une narration relativement claire des véritables faits et gestes de deux héroïnes de l’époque pré-Confédération, Madeleine de Verchères et Laura Secord. Pour mémoire, rappelons que la première, alors âgée de quatorze ans, organisa avec succès, en l’absence de ses parents, la défense du fort construit sur la seigneurie de sa famille et qui était en butte à une attaque des Iroquois. C’était en 1692. Quant à la seconde, elle réalisa son exploit durant la guerre anglo-américaine de 1812. Ayant eu vent d’un projet américain d’embuscade, elle entreprit de parcourir à pied une vingtaine de milles pour communiquer ce renseignement et, avec l’aide des Iroquois, parvint à en prévenir à temps le commandant britannique du district du Niagara. Bien entendu, les péripéties de ces héroïnes n’ont qu’un intérêt anecdotique pour les professeurs Coates et Morgan. Ce qu’ils entendent montrer, c’est que l’histoire est un objet malléable, un bloc de glaise entre les mains des générations et des groupes d’intérêts successifs. Chaque auteur s’attache à l’une des deux héroïnes et tous deux collaborent au premier et au dernier chapitres. L’ouvrage aborde ainsi les attitudes fort diverses adoptées, sur plusieurs siècles, à l’égard des deux héroïnes et des autochtones en cause dans leur histoire. Pourquoi Madeleine de Verchères et Laura Secord ont-elles été l’objet, entre 1890 et 1930, d’une si grande attention sous forme de publications, de monuments, de défilés, de noms de rues et même de quelques entreprises commerciales ? Les auteurs y voient un effet de la montée du nationalisme à la fois au Canada français et au Canada anglais, les deux sociétés voyant dans ces héroïnes l’incarnation des luttes menées par les pionniers. Ils y décèlent aussi l’influence des féministes, désireuses d’inscrire le nom de femmes dans le livre de l’histoire. Cette dernière perspective coexistait difficilement avec des tentatives de contrer la modernité « à l’américaine » en mettant l’accent sur le côté féminin et maternel des héroïnes, dès lors perçues comme ayant agi « en hommes » pour la seule raison que leurs hommes étaient absents. Colin Coates montre que les Iroquois ne furent pas le seul péril que dut affronter Madeleine de Verchères. Elle fut la cible de nombreuses critiques, à commencer par le prêtre de sa paroisse qui composa des poèmes licencieux à propos de ses supposées infidélités. Bien que les premiers champions de la jeune femme aient délibérément passé outre à ces accusations, il demeurait possible, à la fin du xixe siècle, de détruire une réputation par de telles insinuations, même non fondées. Coates soutient aussi, sans vraiment persuader, que le gouverneur Frontenac tenta d’occulter la bravoure de Madeleine ; il est plus probable que le gouverneur omit, comme il était coutume, de faire mention de civils dans des dépêches militaires. À l’ère moderne, certaines féministes la snobèrent, irritées parce qu’elle avait prétendu avoir transcendé la faiblesse propre aux femmes. La sympathie croissante acquise à ses adversaires iroquois fit aussi chuter sa popularité, estime Coates dans un passage qui profiterait d’une analyse plus approfondie du conflit franco-iroquois. L’héroïne fut dépeinte de diverses manières. Obsédé par la crainte « de la transformer en virago », le sculpteur Louis-Philippe Hébert en fit une adorable et mince adolescente coiffée de tresses. Cette statue de vingt-cinq pieds d’une Madeleine de Verchères armée et résolue, érigée dans le village de Verchères en 1913, montre pourtant une femme en devenir, dont les seins naissants tendent le tissu de la robe. L’Action française estimait qu’elle était un modèle de militantisme pour certains jeunes qui refusaient …