Comptes rendus

COMMEND, Susanne, Les Instituts Nazareth et Louis-Braille, 1861-2001 : une histoire de coeur et de vision (Sillery, Septentrion, 2001), 325 p.[Record]

  • Stéphane-D. Perreault

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  • Stéphane-D. Perreault, c.s.v.
    Département d’histoire
    Université McGill

Les livres commémoratifs, même ceux pris en charge par des historiens chevronnés, sont trop souvent l’occasion de laisser tomber les outils critiques de notre discipline pour se lancer dans une simple chronique. Ici, en plus, l’ouvrage est issu d’une commande des responsables de l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB), ce qui laissait craindre qu’il ne soit qu’un « hommage et un hymne de reconnaissance », comme l’annonce en préface Gabriel Collard, directeur de l’INLB (p. 9). Rien de tel ne s’est produit. Ce volume, s’il est de facture traditionnelle et vise effectivement à faire reconnaître l’oeuvre accomplie par l’Institut auprès de la population aveugle, n’en constitue pas moins une contribution importante à l’histoire de la marginalité au Québec. Fondé en 1861, l’Institut Nazareth, sous la responsabilité des Soeurs Grises, a pris en charge l’éducation des garçons et des filles aveugles jusqu’en 1940. Diverses circonstances ont alors concouru à la séparation des sexes, et les garçons se sont retrouvés sans éducation jusqu’à la fondation, en 1953, de l’Institut Louis-Braille, placé sous la charge des Clercs de Saint-Viateur. Résultat de changements sociaux, politiques, ecclésiaux et économiques, les deux écoles sont fusionnées en 1975 pour devenir l’Institut Nazareth et Louis-Braille. Graduellement, celui-ci passera d’un rôle d’éducation à un travail de réhabilitation, oeuvrant de plus en plus auprès de la clientèle adulte. C’est cette histoire que nous raconte Susanne Commend. Un tel effort de synthèse impose bien sûr certaines limites à l’exhaustivité du portrait, qui demeure, de l’aveu même de l’auteure, impressionniste. Toutefois, elle brosse une toile vivante de cette institution. Dans chacune des trois parties, le premier mouvement consiste à tracer les contours des structures administratives de l’INLB durant la période concernée. Ainsi est reliée l’histoire particulière des Instituts au contexte social, économique et politique de l’époque concernée. L’espace étant délimité, les chapitres suivants permettent d’ajouter la couleur et la texture au tableau : la vie des pensionnaires, les programmes éducatifs, les activités de loisirs, la formation à un métier, tous sont esquissés à grands traits, mais avec des tons nuancés. Ce tableau ne serait pas complet sans un examen plus approfondi des mentalités qui ont amené l’éducation des aveugles à se faire à l’intérieur du cadre d’une école spécialisée au xixe siècle. Après l’intervention de l’État dans les années 1960, une mentalité nouvelle préconisait l’intégration des jeunes aveugles à l’intérieur du système public d’éducation. Les attitudes médicales, sociales et pédagogiques, les enjeux politiques, tous bénéficient de l’éclairage de l’auteure. L’interaction des instances religieuses, de l’État et des diverses associations d’aveugles a été étudiée avec un soin et un sens de la nuance particuliers. On sent une sympathie pour les acteurs historiques. L’auteure est en cela fidèle aux Danylewycz, Dumont et autres chercheurs qu’elle cite. On aurait souhaité, notamment en ce qui concerne le phénomène du handicap, que ce volume tire parti d’une recherche plus exhaustive dans l’historiographie. La bibliographie est bien mince en regard de l’abondante littérature publiée au cours des quinze dernières années. Une base théorique plus solide aurait contribué à nuancer l’analyse et à étoffer la compréhension du handicap comme phénomène social. L’auteure s’est contentée d’utiliser la notion de préjugé motivé par la peur de la différence pour expliquer la marginalité des aveugles dans la société ; elle n’en examine pas vraiment les racines profondes. Cela laisse beaucoup de place à d’autres études qui s’inspireront des travaux étasuniens et britanniques sur la construction des groupes marginaux dans leur analyse de cas québécois. Là où l’ouvrage est plus faible, c’est dans le progressisme qu’on retrouve énoncé en conclusion. « Est-ce que l’histoire relatée dans ces pages n’est pas finalement celle d’une …