Comptes rendus

ANCTIL, Pierre, Ira ROBINSON et Gérard BOUCHARD, dir., Juifs et Canadiens français dans la société québécoise (Sillery, Septentrion, 2000), 200 p.[Record]

  • Yolande Cohen

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  • Yolande Cohen
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Publier les actes d’un colloque relève toujours de la gageure, tant la collection de textes énoncés à un moment donné peut sembler disparate et peu cohérente dans un même ouvrage. Pourtant, l’on doit aux organisateurs du colloque le mérite d’avoir poursuivi avec cet ouvrage la réflexion amorcée durant le colloque. Organisé conjointement par l’Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP) et la Bibliothèque publique juive de Montréal, ce colloque tenu en mars 1999 se voulait une rencontre scientifique, avec, selon le mot des deux organisateurs de l’événement, Gérard Bouchard et Zipporah Shnay, un objectif social et culturel (p. 7). L’ouvrage présente donc les contributions d’historiens connus pour leurs travaux sur les Juifs et sur les Canadiens français, dont les directeurs du recueil, ainsi que celles de chercheurs et de personnalités de l’une ou l’autre communauté. Et même si un des objectifs du colloque était d’assurer « une réciprocité des interrogations et des réponses, afin de dresser un portrait dynamique et aussi complet que possible des relations judéo-québécoises » (p. 9), les contributions publiées témoignent de la difficulté de réaliser une telle entreprise. Car les stéréotypes ont la vie dure, de part et d’autre, comme on le voit encore aujourd’hui ; mais du moins, cet effort de réflexion conjointe a-t-il le mérite d’exister. Abordée d’emblée, la question de l’antisémitisme est celle qui soulève le plus de controverses. Si Gérard Bouchard reconnaît l’existence de différents épisodes d’un antisémitisme limité au Québec à certaines élites (de la part « des éléments plus conservateurs du clergé, des professions libérales et du milieu enseignant », p. 21) et à la période 1880-1940, il recommande aussi de montrer « les relations pacifiques, les actes de solidarité, les initiatives de rapprochement », avant 1840 par exemple (p. 21) et à partir de 1947. Plus encore, se penchant sur les causes de l’antisémitisme, il ajoute à la thèse de Pierre Anctil (les juifs porteurs de la modernité menaçant les valeurs traditionnelles), celle du « développement collectif remarquable (de la communauté juive) alors que les Canadiens français empruntaient un cheminement plus incertain », ce qui aurait assuré aux Juifs une mobilité sociale ascendante aux côtés des anglophones. Ainsi l’auteur émet l’hypothèse que les « expressions d’antisémitisme canadien-français visaient moins le Juif lui-même que l’allié d’une classe dominante réprouvée… Le Juif [serait] une sorte de Canadien français inversé qui aurait renoncé à une partie de son identité pour sortir de sa condition de défavorisé » (p. 27). Il est étonnant de retrouver sous la plume du brillant historien des explications aussi sommaires et stéréotypées. Car s’il est une tautologie connue des chercheurs dans ce domaine, c’est bien celle qui fait de la minorité exclue la responsable de son oppression (le syndrome bien connu du Blame the victim). S’il évite de mentionner l’explication la plus usuelle de l’antisémitisme comme une manifestation d’un antijudaïsme par des élites catholiques, Bouchard aurait dû au moins soulever la question de savoir pourquoi les élites conservatrices canadiennes-françaises avaient identifié la petite élite de marchands juifs comme responsable de la modernisation qu’ils redoutaient tant ? Ce qui lui aurait permis de souligner la forte propension de ces élites au corporatisme, qu’il connaît fort bien par ailleurs. Cette impasse sur cette forme de nationalisme canadien-français lui permet tout naturellement de s’interroger sur « la réticence des Juifs à l’endroit du nationalisme et du projet de souveraineté dont il est porteur » (p. 28). Et nous revoilà en plein débat national, annoncé en introduction par le chercheur qui considère « le rapport à instaurer avec la communauté juive comme un test pour la nation québécoise en tant …

Appendices