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Robert Lahaise, professeur retraité de l’Université du Québec à Montréal et docteur en histoire et en littérature, signe avec cet ouvrage le troisième et avant-dernier chapitre de son histoire du Québec (le « Canada-Québec » du titre est trompeur à ce sujet) par la littérature de 1830 à 1939. À l’origine de ce projet, un constat : la littérature canadienne-française naissante se tint toujours assez proche de la vie quotidienne durant ses quelque cent premières années d’existence. Elle fit son miel des « travaux et des jours », des événements politiques, religieux, sociaux et économiques marquants de notre petit monde, des beautés de la nature, de la gloire de la patrie. Bref, notre jeune littérature se construisit progressivement en apprenant à chanter son environnement immédiat. Une histoire du premier siècle de la littérature canadienne-française par ses thèmes permet ainsi de tracer les contours d’une histoire du Québec vue par ses écrivains, et c’est ce potentiel, la richesse de ces sources, que l’auteur a cherché à mettre en valeur. L’intérêt de la démarche mérite certainement d’être souligné.

L’ouvrage, qui couvre les années 1896 à 1914, est divisé en deux parties d’inégale importance, la première, qui dresse le bilan historique et littéraire de la période, faisant en quelque sorte office d’introduction à la seconde, le coeur de l’ouvrage, consacrée aux « documents » comme tels et qui se présente un peu comme une anthologie. Le titre, entrouverture au monde, renvoie à l’interprétation globale de l’auteur de l’évolution du Québec français durant la période concernée, marquée selon lui par un certain « dégel socio-religieux », qui n’aura cependant pas de suites immédiates. L’accession du Parti libéral au pouvoir à Ottawa et à Québec, le recul relatif des ultras, l’immigration européenne massive au Canada et, en littérature, l’éclat brillant mais fugitif de l’École littéraire de Montréal puis des exotistes témoignent de ce « dégel », de cet élan vers le monde et la modernité. Élan qui sera cependant brisé par le conservatisme du clergé, par la « stérilité intellectuelle » de notre milieu à l’époque ainsi que par la Première Guerre mondiale, cette « guerre des autres » qui entraînera le repli du Canada français sur la patrie et la tradition, notamment en littérature.

Le texte est rédigé dans un style plus décontracté qu’académique. La fibre nationaliste de l’auteur vibre à l’évocation des politiques antifrancophones adoptées par le gouvernement fédéral et les provinces anglophones ainsi qu’à celle de la lutte du clergé catholique irlandais contre les Canadiens français. Il n’aime pas beaucoup les réactionnaires, surtout s’ils ont manifesté trop de loyalisme, et ne se gêne pas pour l’écrire. Le pauvre Thomas Chapais se trouvera bien écorché au passage... Quant aux documents qui constituent la substance de la seconde partie, des poèmes pour la plupart, ils évoquent, tantôt avec naïveté, tantôt avec une grandiloquence un peu ridicule, tantôt avec un soupçon d’ironie et de drôlerie, et parfois aussi avec inspiration, les grands moments de la vie canadienne-française de ce début de xxe siècle. Ces extraits sont entrecoupés de commentaires de l’auteur, plutôt brillants, souvent doucement moqueurs, qui révèlent une certaine tendresse à l’égard de ces pionniers de notre littérature, même aux chantres de la « soupe aux pois » (du titre d’un poème de J. A. Lapointe) et du retour de la littérature au terroir.

En somme, Robert Lahaise nous offre là un ouvrage de lecture agréable, quoiqu’un peu longuette, comique par moments, qui a le mérite d’aborder l’histoire du Québec de manière aussi peu coutumière qu’instructive.