Comptes rendus

FERRETTI, Lucia, Histoire des Dominicaines de Trois-Rivières. « C’est à moi que vous l’avez fait » (Sillery, Septentrion, 2002), 192 p.[Record]

  • Marie-Josée Larocque

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  • Marie-Josée Larocque
    Faculté des sciences de l’éducation
    Université Laval

Avec cet ouvrage, Lucia Ferretti dresse une histoire institutionnelle qui a pour objectif de « nourrir la réflexion sur la place qu’ont historiquement occupée les religieuses dans l’Église et la société québécoise, sur le soutien apporté aux enfants et aux familles pauvres en l’absence de vigoureuses politiques étatiques de redistribution de la richesse collective, et sur ce qu’a été puis est devenue la culture dominicaine comme forme spécifique de la vie religieuse » (p. 14). Au chapitre 1, l’auteure présente les débuts du projet, de l’inspiration de Marie de la Charité à Québec à la fondation concrétisée, au début du xxe siècle, par Marie de la Croix à Trois-Rivières. Pour réaliser leur idéal dominicain, les premières soeurs sont prêtes à servir, nourrir et blanchir plus de 300 personnes (prêtres, séminaristes et élèves). Filles de cultivateurs issues de familles très nombreuses et très chrétiennes, ce sont souvent des orphelines qui, à regret, ont quitté l’école tôt. Certaines ont également connu la vie urbaine et le rythme des manufactures. Ce profil prépare les Dominicaines du Rosaire à une vie religieuse de durs labeurs, vie compensée par une quête spirituelle intense. Leur état de semi-claustration explique l’importance du chapelain de la congrégation, notamment pour établir les contacts avec l’extérieur. C’est pourquoi les abbés Panneton, austère mais débrouillard, puis Bourgeois, ami de Duplessis et promoteur infatigable des oeuvres enfantines de la congrégation, ou encore l’abbé Rivard, pionnier de l’éducation spécialisée au Québec, sont des figures centrales dans l’histoire de la communauté. Au chapitre 2, l’historienne démontre que les dominicaines jouent un rôle crucial dans la société industrielle de Trois-Rivières d’avant l’État-providence, au moment où l’exode rural suscite d’immenses besoins. Sans orientation professionnelle définie, les soeurs s’ouvrent graduellement à divers engagements. Grâce aux prieures générales successives, la congrégation connaît en effet une expansion rapide : ouverture ou prise en main d’orphelinats, patronages, travaux domestiques dans diverses maisons religieuses, etc. Le succès de ces oeuvres dépend à la fois de la volonté de l’Église de contrôler les établissements d’hébergement, de la disponibilité sociale du travail des religieuses et de l’absence de volonté gouvernementale à cet égard. Au chapitre 3, Lucia Ferretti explique que, de 1930 à 1960, malgré une apparente continuité, un courant réformiste commence à sourdre. La conversion de l’Église au personnalisme convie les religieuses non plus à l’anéantissement mais à un épanouissement plus personnel ; le financement des oeuvres dominicaines dépend de plus en plus de l’État ; le rapport des dominicaines aux enfants évolue et, dans leurs institutions, la vie quotidienne est réorganisée pour favoriser une ambiance plus familiale. Il n’est pas anodin de voir les orphelinats changer de nom et devenir, par exemple, Ville-Joie Saint-Dominique. Alors que le débat public sur la valeur du placement institutionnel des enfants en difficulté s’amplifie, des réformes sont d’ailleurs envisagées sinon, « comme l’abbé Bourgeois le pressent, c’est un pan entier de l’inscription sociale de l’Église qui risque de s’écrouler » (p. 115). Comme le montre Lucia Ferretti, d’autres transformations sociales se font imminentes, car les années 1950-1960 sont celles où « la société canadienne-française découvre le bien-être qu’apporte l’aisance même très modeste, tout le discours public, celui des psychologues, des éducateurs, des médias, n’en a plus que pour la “reine du foyer”, l’épouse attentive, la mère d’une belle petite famille installée dans un home de banlieue. Même les prêtres s’y mettent, qu’on pense aux abbés trifluviens Albert Tessier et Henri-Paul Carignan ou au dominicain Marcel-Marie Desmarais. Une décennie de tyrannie domestique contre laquelle les femmes se rebelleront dix ans plus tard, mais qui, pour l’instant, a surtout pour effet de détourner les jeunes de …