Comptes rendus

COURVILLE, Serge, Immigration, colonisation et propagande : du rêve américain au rêve colonial (Québec, Éditions Multi-Mondes, 2002), 699 p.[Record]

  • Leslie Choquette

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  • Leslie Choquette
    Institut français
    Assumption College

Avec près de 700 pages, le dernier livre de Serge Courville est un pavé, mais le volume est non moins imposant que son sujet. Ainsi que Courville nous le rappelle dans son premier chapitre, pas moins de 50 à 60 millions d’Européens, et probablement beaucoup plus, quittent le continent pour de multiples destinations dans les hémisphères nord et sud entre 1815 et 1930. C’est la plus grande migration humaine depuis la chute de l’Empire romain. Dans ce livre, Courville choisit de se pencher sur les discours de la colonisation européenne, discours qu’il analyse grâce à un corpus de plus de 400 ouvrages écrits pour promouvoir le mouvement. Ces discours sont à deux niveaux, qui ne sont pas toujours très bien distingués l’un de l’autre : les idéologies qui structurent la propagande et la rhétorique de la propagande elle-même. Les idéologies de la propagande s’avèrent fascinantes car elles cons-tituent une fenêtre ouverte sur la société du xixe siècle avec ses angoisses, ses rêves et ses désirs. Dès le début, la colonisation européenne s’allie étroitement au capitalisme, un capitalisme — nous avons peut-être tendance à l’oublier — aux aspirations universelles. Les colonies seront à la fois une panacée aux problèmes de la surpopulation, de la pauvreté et de la criminalité dans le Vieux Monde et un stimulus au dévelop-pement du Nouveau. Elles augmenteront les commerces d’exportation et d’importation et fourniront des investissements profitables, en même temps qu’elles favoriseront des utopies à la Rousseau ou à la Jefferson, des sociétés à petite échelle, agraires, vertueuses. En ce qui concerne la rhétorique de la propagande, Courville retrace sa naissance dans les îles Britanniques, où l’émigration de masse commence dès le xviie siècle. Il montre l’importance de l’idée de l’empire, cette mystique politique et religieuse qui souligne les traditions et les destinées de la race anglo-saxonne et sa mission de conquête. Il y a ensuite l’apparition d’une variante américaine dans les années qui suivent la Révolution, quand des écrivains comme Franklin et Crèvecoeur donnent un tour nouveau au concept du rêve américain avec leur métaphore du creuset. Au xixe siècle, quand les conseils répétés de « Go West young man » attirent des millions d’immigrants à la république américaine, la Grande Bretagne répond en renouvellant son appel au peuplement des colonies qui lui restent au Canada, en Australasie et en Afrique du Sud. Ces colonies elles-mêmes s’occupent de plus en plus de l’immigration car si les migrations de masse constituent un marché lucratif, près de 30 pour 100 des migrants finissent par repartir, créant ainsi une compétition féroce entre les destinations possibles. Malgré cette compétition, toutes les colonies britanniques développent un modèle très semblable de propagande : on promet aux immigrants éventuels des paysages magnifiques, un climat favorable (dans mon exemple préféré, le père Paradis explique à ses lecteurs que s’ils coupent les forêts boréales de la baie d’Hudson, le climat se réchauffera et la vigne y poussera aussi bien qu’en France), des ressources naturelles abondantes ainsi que les bénéfices de l’ordre et de la civilisation. Il va de soi que des jugements négatifs sur les autres régions d’immigration sont aussi de rigueur. Cette propagande émane à la fois de l’entreprise privée et de l’État. C’est dire que l’histoire de la colonisation complique le récit traditionnel, tiré de Marx, de la relation changeante entre la société et l’État en Europe au xixe siècle. Dans la narration marxiste, le début du siècle se caractérise par une séparation complète entre la société civile et la société politique, symbolisée par la révocation des « Corn Laws » en Angleterre en 1846 ; ensuite on …