Comptes rendus

FOURNIER, Martin, Pierre-Esprit Radisson 1636-1710. Aventurier et commerçant (Sillery, Septentrion, 2001), 319 p.[Record]

  • Thomas Wien

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  • Thomas Wien
    Département d’histoire
    Université de Montréal

Quel parcours fascinant que celui de Pierre-Esprit Radisson. Entre son premier départ du pays natal en 1651 et sa mise à la retraite à Londres près de quarante ans plus tard, ce Français trouva le temps d’être : captif des Iroquois, serviteur des jésuites dans leur mission iroquoise, coureur de bois avant la lettre, l’un des two Frenchmen qui permirent aux Anglais de se lancer dans le commerce de la baie d’Hudson, garde-marine français aux Caraïbes, chef de poste de la Compagnie (française) du Nord, puis à nouveau de la Hudson’s Bay Company. De son vivant déjà, ce jeu de saute-frontières lui valut une réputation de vire-capot hors pair. Depuis longtemps, certains historiens — et une historienne, G. L. Nute — se sont employés à tracer un portrait plus favorable, mais c’est seulement de nos jours que l’inconstance de Radisson se transforme en mérite. Cette vie — ou ces vies pourrait-on dire — est en passe de devenir un cas limite de l’adaptabilité culturelle à l’époque moderne. Cela s’explique en partie par la présence dans ce curriculum chargé d’une rubrique consacrée aux récits autobiographiques. L’explorateur les rédigea en deux temps, vers 1667 et en 1684-1685, en guise de cartes de visite qu’il adressa aux Anglais influents auxquels il proposait ses services. Dans ses écrits aussi, l’homme se montra peu respectueux des frontières. Frontières linguistiques d’abord : les premiers récits nous sont parvenus dans un franglais plutôt exubérant qui, s’il est bien de Radisson comme on le pense maintenant et non d’un traducteur inepte, marque à lui seul une étape de son itinéraire transculturel. Tout au long de son oeuvre écrite, l’explorateur voyagea également entre les genres. Ses récits tiennent du mémoire justificatif, de l’aventure picaresque, voire du roman d’apprentissage. Ce mélange original, à la chronologie parfois suspecte et enrichi de quelques aventures inventées, suscita pendant longtemps la méfiance des historiens. Aujourd’hui, alors qu’on s’intéresse davantage à l’histoire de la conscience des gens dits « ordinaires », il a tout pour séduire : au xviie siècle, un être singulier se raconte et un écrivain fruste mais rusé déploie ses artifices. Dans la biographie où il dépeint ce personnage, première d’une certaine ampleur à paraître en français depuis soixante ans, Martin Fournier se montre un exégète attentif du texte radissonien. Dans un va-et-vient constant, il fait s’éclairer mutuellement les récits de Radisson et leurs contextes successifs. Guide généreux, il explore longuement les différents mondes traversés par Radisson, que ce soit l’Iroquoisie, le pays des Grands Lacs supérieurs, Londres ou les postes de la baie d’Hudson. Chemin faisant, il est particulièrement sensible au polymorphisme identitaire de son protagoniste et présente la vie de « cet extraordinaire Métis culturel » (p. 10) comme une série d’adaptations à des environnements culturels très variés. Il n’en fait pas un simple caméléon pour autant, car Radisson serait un homme ambitieux qui « se fixe des objectifs précis et élevés qu’il tente d’atteindre à tout prix » (p. 243). Toujours à l’affût d’occasions d’avancer, « ce coureur de bois qui voulait devenir aussi gros qu’un gentleman » (p. 290) serait parvenu à « [s’élever] au-dessus d’un simple aventurier » (p. 171). Une grande adaptabilité, beaucoup de volonté, une certaine réussite : voilà qui résumerait assez bien cette vie hors du commun si M. Fournier n’avait pas tendance à en remettre. Dynamique et volontaire, son Radisson ne l’est pas à moitié. S’il « [passe] d’une culture à l’autre » (p. 285), ce n’est pas en visiteur, mais pour s’y engouffrer : il change « de langues et de mentalités, d’objectifs et de moeurs » (p. 47). Cela, il …