« Féminin/masculin : l’histoire du genre »[Record]

  • Ollivier Hubert

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  • Ollivier Hubert
    Département d’histoire
    Université de Montréal

La Gender History est d’abord un phénomène étasunien, qui repose sur une distinction, ancienne dans la recherche anglo-saxonne, entre le sexe comme caractéristique physiologique et le genre comme ensemble de traits comportementaux et de conventions sociales arbitrairement construites sur la base de la différence sexuelle. Depuis quelques années, cette spécialité connaît une popularité croissante à l’extérieur de la production américaine, de sorte qu’elle apparaît actuellement comme l’un des secteurs les plus dynamiques de la recherche historique à l’échelle internationale. L’histoire du genre n’est pas une appellation neuve de l’histoire des femmes, pas plus qu’elle n’est une histoire des femmes et des hommes. Elle est plutôt une histoire des représentations bipolaires du monde et, secondairement, de l’incorporation de ces représentations par les acteurs sociaux. Il s’agit donc d’une posture essentiellement relativiste, qui postule la construction culturelle et historique des identités sexuées et plus généralement le caractère particulièrement prégnant de la division du monde sur la base d’un partage entre ce qui est réputé masculin et ce qui est réputé féminin. On aperçoit vite les multiples possibilités ouvertes par cette idée. La distribution masculin/féminin fonde non seulement, de manière évidente, les rapports sociaux hommes/femmes (ou hommes/hommes, ou femmes/femmes), mais plus fondamentalement elle semble instaurer une véritable symbolique du monde. C’est en fait, selon la théorie, cette vaste pénétration de la symbolique générale par une opposition fondée sur une distinction biologique particulière qui la rend si efficace à instituer et à reproduire un ordre sexué du monde social. Infiltrées dans les manières de faire et les manières de dire, dans les diverses imaginations humaines (artistiques, scientifiques, religieuses), les coutumes et les histoires, la dichotomie masculin/féminin et la norme comportementale qu’elle définit s’imposent aux individus avec la force d’une évidence. C’est donc l’impersonnel et constant processus qui consiste à rendre naturelles un ensemble de conceptions culturelles que l’histoire du genre entend identifier, montrant à la fois les permanences et les évolutions (les adaptations, les actualisations) de la représentation sexuée du monde. Le plus souvent, bien que cette perspective soit aujourd’hui débordée par une critique qui cherche à faire l’histoire du genre en dehors de la seule problématique du pouvoir, il s’agit de décrire les caractéristiques particulières des fondements culturels de la domination masculine pour un lieu, pour une époque, et d’en comprendre la reproduction. L’histoire du genre consiste avant tout en un patient travail de collecte des visions et des divisions sexuées du monde et se présente comme une recherche fondamentale, en ce sens qu’elle veut révéler les assises des différences dans les rapports sociaux de sexe en dehors même, le plus souvent, des discours et des pratiques qui portent spécifiquement sur cette question. Il serait possible de faire une généalogie de l’usage du concept de genre en sciences humaines, par exemple en remontant aux travaux de Margaret Mead qui, dans les années 1930, reconnut sur son terrain océanien que « les traits du caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont, pour nombre d’entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe de façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières et la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou l’autre sexe ». Cependant, au-delà des travaux pionniers, la différence des sexes fut longue à être prise en considération par la recherche en tant que variable vraiment significative. C’est dans les années 1980 que l’historienne américaine Joan Scott proposait formellement, au carrefour du Linguistic Turn, du poststructuraliste et des études féministes, l’utilisation du concept de genre en histoire. Sans prétendre se substituer à l’histoire des femmes, cette Gender History offrait de placer les relations hommes/femmes, à travers leur fondement …

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