Avec Entre l’assommoir et le godendart, l’anthropologue Claude Gélinas termine la publication de l’essentiel de sa thèse de doctorat sur les Atikamekw de la Haute-Mauricie (Université Laval, 1998). La première partie de son étude, La Gestion de l’étranger. Les Atikamekw et la présence eurocanadienne en Haute-Mauricie 1760-1870 (Sillery, Septentrion, 2000), se consacrait à la période de 1760 à 1870 ; l’auteur présente ici la seconde qui s’articule autour de la problématique du changement : entre 1870 et 1940, l’environnement atikamekw se transforme rapidement sous les effets du développement des industries forestières et hydro électriques, de la colonisation des terres arables et de la prolifération des clubs de chasse sportive. Ces effets se traduiront pour la population locale par une importante phase de transition que les deux icônes en titre d’ouvrage illustrent élégamment : l’assommoir, objet de prédation de la culture matérielle traditionnelle autochtone ; et à l’opposé, le godendart, une scie à deux manches, symbole de l’acculturation des moyens de subsistance et de l’intégration du travail salarié dans l’économie atikamekw. Entre les deux objets se profile une expérience, celle d’une société axée essentiellement sur la chasse et le piégeage qui devra adapter ses stratégies de subsistance à la présence eurocanadienne. Au terme de sa démonstration, Gélinas articulera sa thèse autour de deux constats : le premier veut que les Atikamekw aient fait preuve d’une grande adaptabilité en diversifiant naturellement leur économie au rythme des avancées de la colonisation, du sud (bande de Manouane) vers le nord (celle d’Obedjiwan). Cette diversification de l’économie atikamekw au contact de la société eurocanadienne serait, selon Gélinas, la manifestation d’une capacité d’adaptation inhérente aux populations algonquiennes, adaptation conditionnée par la nécessité de survivre selon la disponibilité des ressources animales (p. 223), et aussi par l’attrait des nouvelles possibilités offertes par la présence étrangère, dont ils ont su tirer profit, particulièrement avec leur participation au commerce des fourrures. C’est donc en quelque sorte sous le paradigme de la continuité que Gélinas place leur flexibilité économique : questionnant le « certain romantisme » entretenu envers « le rapport des Algonquiens nomades avec la chasse et le piégeage » (p. 223), l’auteur remarque plutôt un intérêt mani-feste pour la diversification des moyens de subsistance. Par cette vision plus autonome et active de la participation autochtone à l’économie, Gélinas fait écho à de récentes études sur les populations algonquiennes du Nord-Est, notamment à celle de Toby Morantz sur les Cris de l’est de la baie James (The White Man’s Gonna Getcha. The Colonial Challenge to the Crees in Quebec) (McGill-Queen’s University Press, 2002). Le second constat de Gélinas surprend davantage : l’interaction avec les Eurocanadiens aurait été « bénéfique, puisque la participation des Atikamekw aux activités économiques des visiteurs a contribué à leur assurer une relative prospérité » (quatrième de couverture), et « En somme, pour les Atikamekw, la période 1870-1940 a [sic] été ni navrante ni tragique » (p. 224). Tantôt nuancée, tantôt davantage affirmée, cette thèse nécessite à mon avis de sérieuses réserves : l’auteur lui-même témoigne de la destruction des habitats naturels par les compagnies forestières et hydro électriques, de même que de l’exploitation par les trappeurs blancs des ressources animales sur les terres atikamekw ; autant de conséquences de la colonisation eurocanadienne qui ont contribué à la raréfaction des ressources et, par conséquent, à la diversification nécessaire des revenus autochtones. Si les Atikamekw se sont intégrés naturellement dans l’économie eurocanadienne et en ont retiré certains avantages, il est loin d’être démontré ici que cette intégration ait été « bénéfique ». Il reste par ailleurs à se demander si une amélioration …
GÉLINAS, Claude, Entre l’assommoir et le godendart. Les Atikamekw et la conquête du Moyen-Nord québécois, 1870-1940 (Sillery, Septentrion, 2003), 300 p.[Record]
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Sigfrid Tremblay
Département d’histoire
Université du Québec à Montréal