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Depuis quelques années, nombreux ont été les ouvrages en anglais consacrés au cinéma canadien – ce qui inclut le Québec – au point de renverser une tendance où, jusqu’alors, le cinéma québécois occupait la place dominante dans le domaine de l’édition. Plusieurs d’entre eux reposent sur le modèle de l’anthologie gravitant autour de films ou de réalisateurs particuliers et menée sous la direction d’un ou deux auteurs. Telle n’est pas la voie empruntée par George Melnyk qui assure la totalité de la rédaction de son ouvrage.

L’approche qu’adopte l’auteur est fort simple et paradoxalement, rares sont les livres canadiens-anglais qui y parviennent à ce point. Il veut que l’histoire du cinéma québécois et du cinéma anglo-canadien s’entrelacent au point de former un même récit, de façon à souligner à la fois leurs similitudes et leurs différences. Melnyk ne prétend pas être un historien qui a mené des recherches poussées dans un domaine quelconque de l’histoire du cinéma canadien. Il se veut un historien généraliste dont l’écriture dépend du travail d’autrui, que ce soit des chercheurs, des critiques, des théoriciens… ou des historiens. On ne tente pas ici d’expliquer les films ou de définir le parcours créateur des cinéastes en cherchant de quelconques preuves dans les oeuvres pour étayer des assertions. L’ouvrage se distingue en cela de plusieurs histoires générales du cinéma rédigées par des gens qui sont aussi, et parfois avant tout, des critiques et qui interprètent ou évaluent les films, en guidant les lecteurs. Melnyk s’intéresse plutôt au contexte de production ou de diffusion des films, ainsi qu’à certains événements extra-cinématographiques qui peuvent avoir une incidence sur le cinéma. Sur ce terrain, sa méthode est assez simple mais très efficace. Il semble avoir mis à plat de manière diachronique les plus importantes publications sur le cinéma canadien et en effectue une synthèse, ou il construit plutôt un récit qui soit la synthèse de ses sources.

Melnyk ne procède pas par collage. Il se montre plus subtil. Pour une époque ou pour une situation donnée, il opte pour quelques sources incontournables qu’il enrichit d’autres éléments cueillis au cours de la construction de ce que j’appellerais son tableau synoptique événementiel et discursif. Il n’hésite pas à souligner les contradictions entre les sources, les conflits d’interprétation, même les carences de certains auteurs. Des ouvrages manquent au rendez-vous, particulièrement pour le cinéma québécois, mais la ligne d’ensemble est de bonne tenue.

Au fil de ses dix-sept chapitres, Melnyk retrace toute l’histoire du cinéma au Canada, depuis la fin du xixe siècle jusqu’au début du xxie et il en montre les enjeux. Dans un pays de la taille du Canada, soumis au voisinage de la plus puissante industrie cinématographique au monde, la production locale est partagée entre, pour certains, une volonté de résistance culturelle et, pour d’autres, un désir de réussite économique qui ne craint pas l’assimilation. Autrement dit, l’histoire du cinéma au Canada oscille entre une démarche identitaire nationale et une dépendance économico-politique d’acteurs qui déterminent les règles de l’exercice d’une pratique culturelle et surtout de l’économie qui la gouverne. Les gouvernements, qu’ils soient central ou provinciaux, et les appareils dont ils se dotent, vont toujours refléter cette contradiction. Pour Melnyk, ce mouvement se retrouve autant du côté du cinéma canadien-anglais que du cinéma québécois. Cela l’amène non pas à valoriser les différences identitaires entre ces deux cinémas, mais à montrer que des mouvements analogues les animent. C’est pourquoi, même s’il ne se distingue pas de l’approche habituelle canadienne de réserver des chapitres spécifiques au cinéma québécois, il tâche de situer l’un et l’autre dans une même dynamique, une même problématique. Il réussit assez bien à entremêler le récit canadien et le récit québécois, sans les assimiler l’un à l’autre. Travaillant dans un cadre moderne, il ne se limite pas aux identités nationales plurielles qui constituent les cinémas du Canada, mais intègre aussi l’approche très populaire en milieu anglo-saxon des « gender, race and sex ».

Il ne se limite pas non plus aux pistes les plus habituelles, aux oeuvres les plus dominantes. Si la fiction occupe une place capitale, le documentaire n’est pas relégué à l’arrière-plan et l’animation ainsi que l’expérimental ont droit à leur place eux aussi. Autrement dit, le lecteur trouvera dans cet ouvrage une vision d’ensemble qui peut répondre à plusieurs de ses attentes. L’ouvrage est manifestement rédigé pour un public cinéphile et pour des étudiants qui poursuivent des études de niveau collégial et universitaire. On peut dire que sa lecture procure une assise sérieuse à tout individu qu’intéresse le cinéma canadien et qui souhaiterait acquérir une connaissance de base sérieuse et bien documentée, laquelle lui fournirait un contexte pour apprécier des textes plus fouillés, des recherches plus pointues, des analyses plus novatrices. À ce titre, le livre joue un véritable rôle de référence. Sa bibliographie, qui se rend jusqu’à 2002, est assez étoffée, que ce soit en anglais ou même en français. Si elle inclut de nombreux articles de périodiques ou de chapitres d’anthologies, elle laisse par contre de côté les dictionnaires du cinéma canadien ou québécois (comme le Peter Morris ou le Michel Coulombe-Marcel Jean), sans parler d’ouvrages francophones dont on s’explique mal l’absence (on peut penser aux monographies de Michel Coulombe sur Carle, de Paul Warren sur Perrault, d’Yvan Lamonde sur les statistiques du cinéma québécois ou de Jocelyne Denault sur les femmes cinéastes) en raison de la qualité de l’information qu’on y retrouve. On se serait attendu à plus d’exhaustivité en la matière. En résumé, il s’agit là d’un ouvrage d’envergure clairement construit et agréable à lire, très complet et d’un réel intérêt pour comprendre les deux cinémas nationaux, distincts et complémentaires, que l’auteur regroupe sous l’appellation de cinéma canadien.