Comptes rendus

FECTEAU, Jean-Marie, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au xixe siècle québécois (Montréal, VLB éditeur, 2004), 455 p.[Record]

  • Nancy Christie

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  • Nancy Christie
    Université Trent

Après de nombreuses années de travail et de réflexion consacrées à l’imbrication des valeurs libérales et de la société québécoise, Jean-Marie Fecteau publie un ouvrage théorique majeur sur la montée en puissance des institutions régulatrices au Canada français de 1815 à 1930. Si certaines parties recoupent quelque peu l’étude du même auteur parue en 1989, Un nouvel ordre des choses, cette nouvelle monographie prolonge la période d’étude au-delà de 1840. Grâce à l’envergure diachronique de cette recherche, en explorant intensivement les discours législatifs rédigés lors de la création et de l’évolution des politiques relatives aux prisons, aux oeuvres de bienfaisance et aux institutions réformatrices, l’auteur parvient efficacement à distinguer trois périodes de mise en place de la réglementation étatique. Entre 1680 et 1815, Fecteau postule que les monarchies de l’Ancien Régime ont établi une vision communautaire de l’ordre social qui, en général, supprimait la notion d’individu. La période qui va de 1815 à 1830 est, selon l’auteur, marquée par une critique sociale-démocrate plus forte des pratiques sociales qui tendaient potentiellement vers une vision égalitaire des relations sociales. C’est ce supposé moment perdu de libéralisme radical qui forme le repère implicite de l’analyse de la société québécoise proposée par Fecteau. Et c’est grâce à cette analyse que La liberté du pauvre devient à la fois un traité philosophique ou une réflexion idéologique sur les déficiences du Québec contemporain et une recherche historique empirique. Entre 1830 et 1870, selon Fecteau, s’installe l’hégémonie croissante d’un libéralisme bourgeois coercitif basé sur une dichotomie profonde entre le public et le privé, ce qui a conduit à l’abdication de nombreuses fonctions de l’État au profit d’associations bénévoles, surtout l’Église catholique romaine. Dans le discours libéral, l’État s’arroge en toute légitimité le rôle d’arbitre social ultime. Cependant, Fecteau voit dans le régime libéral particulier qui a dominé le Québec de 1830 à 1870 un défaut, dans la mesure où ce régime a mis en place une vision de l’État qui présidait « seul à la mise en place des conditions nécessaires à l’expression de l’initiative privée » (p. 80). Selon lui, la véritable crise du libéralisme arrive entre 1870 et 1930, quand les nouvelles mouvances internationales de ce courant ont pavé la voie à une intervention étatique plus forte. Au Québec toutefois, et c’est là que la contribution de Fecteau est la plus importante, l’Église catholique, même si elle est ouverte à ces nouvelles formulations d’État expansionniste, fait délibérément l’impasse sur la remise en question du vieux paradigme libéral qui mettait l’accent sur l’auto-assistance individuelle, ce qui a assuré le maintien de la notion de charité privée. En présentant une telle vue d’ensemble de l’intersection entre institutions régulatrices étatiques et bénévoles, Fecteau améliore grandement notre compréhension des discours et des débats sur les questions de pauvreté et de déviance de l’époque victorienne. Le point suivant est d’une importance toute particulière, surtout dans la discussion sur l’émergence des écoles de réforme pour les délinquants juvéniles : il s’agit de l’attention nouvellement portée à la question de l’âge en tant que facteur déterminant qui peut être qualifié de pauvre méritant et de pauvre non méritant. Cependant, on pourrait avancer que, dans son analyse d’une conception de la criminalité et de la déviance davantage centrée sur l’enfant, Fecteau aurait pu insister sur les fondements religieux de ces attitudes, surtout lorsqu’elles émergent du protestantisme. Cette religion ne reçoit d’ailleurs qu’une attention sommaire, en raison de l’hypothèse très forte selon laquelle le catholicisme est la religion quasi exclusive au Québec, alors que tout au long du xixe siècle il y a une minorité protestante importante de 20 %. Encore plus …