Comptes rendus

HAEFELI, Evan et Kevin SWEENEY, Captors and Captives. The 1704 French and Indian Raid on Deerfield (Boston, University of Massachusetts Press, 2003), 376 p.[Record]

  • Maxime Gohier

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  • Maxime Gohier
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Trois cents ans après ce qui fut l’un des événements militaires les plus importants de l’histoire de la Nouvelle-France, l’ouvrage de Evan Haefeli et Kevin Sweeney jette un regard tout à fait nouveau sur l’attaque franco-amérindienne contre le village de Deerfield, au Massachusett. Comme son titre le laisse entendre, Captors and Captives se veut d’abord et avant tout une étude des individus ayant participé à l’événement. Son originalité repose d’ailleurs sur une recherche colossale ayant permis de retracer les antécédents de même que le destin des différents protagonistes, tant captifs anglais que ravisseurs français et amérindiens. Cette analyse biographique est d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit résolument dans la mouvance des nouvelles études sur la « frontière », qui s’intéressent principalement aux contacts entre individus d’origines culturelles distinctes. Elle permet en effet aux auteurs d’adopter une multitude de perspectives et de prendre en compte les intérêts et les motivations des différents acteurs. Elle permet aussi de mettre en lumière les relations de conflits et d’accommodements nées de la rencontre entre ces individus. Par cette démarche, les auteurs visent à nuancer les stéréotypes et les généralisations héritées de l’historiographie américaine des xixe et xxe siècles, qui présentait souvent l’événement comme le résultat d’un clash culturel et impérial. L’ouvrage se divise en quatre sections. Il s’ouvre d’abord sur une présentation des trois « communautés » impliquées dans l’événement (Français, Anglais et Amérindiens) et des causes de l’attaque. L’accent est mis avant tout sur les intérêts distincts qu’avaient les Français et leurs alliés à prendre les armes et à s’engager dans le conflit impérial que fut la guerre de Succession d’Espagne. La seconde section s’intéresse au raid lui-même. Quoique l’analyse soit plus événementielle, ce sont encore ici les relations interpersonnelles qui priment : les Français et les Amérindiens qui visitèrent Deerfield dans les mois précédant le raid ; la coordination des troupes lors de l’assaut ; les relations entretenues par les ravisseurs amérindiens avec leurs captifs durant la marche de trois semaines qui devait les conduire à Montréal. En troisième partie, l’ouvrage analyse le sort des 89 captifs qui arrivèrent vivants en Nouvelle-France et notamment les forces multiples qui contribuèrent à les intégrer dans leur communauté d’accueil ou à faciliter leur retour en Nouvelle-Angleterre. Enfin, une quatrième section s’attarde aux transformations subies par les communautés à la suite du raid, de même qu’à l’influence de la captivité sur les individus. L’approche individuelle adoptée par les auteurs fait clairement ressortir le caractère ambigu des acteurs historiques, dont le comportement est à la fois conditionné par les forces structurelles qui les entourent et par leur volonté de forger leur propre destin (p. 4 et 7). Discutant des motivations françaises et amérindiennes pour lancer un raid contre Deerfield, les auteurs insistent tout autant sur les intérêts individuels de chacun que sur le poids des politiques impériales. Ils mettent alors en lumière un important contraste entre, d’une part, « l’enthousiasme » des officiers français à rassembler et conduire les troupes afin de promouvoir leur ascension sociale (chapitre II) et, d’autre part, des chefs Abénaquis dont les efforts pour demeurer neutres dans le conflit furent contrecarrés par les manoeuvres politiques françaises et les attaques anglaises (chapitre IV). Ainsi, les empires apparaissent moins comme des blocs figés que comme des « toiles diaphanes », influençant la vie des individus tout autant qu’ils dépendent de leurs actions pour se déployer (p. 5). Sous la plume de Haefeli et Sweeney, les frontières culturelles sont elles aussi marquées par une certaine dichotomie, se présentant comme des limites aussi bien fixes que poreuses. La religion apparaît notamment comme la principale barrière à …