Comptes rendus

HÉBERT, Pierre, avec la collaboration de Élise SALÜN, Censure et littérature au Québec. Des vieux couvents au plaisir de vivre, 1920-1959 (Montréal, Fides, 2004), 252 p.[Record]

  • Cécile Vanderpelen-Diagre

…more information

  • Cécile Vanderpelen-Diagre
    Département d’histoire
    Université Libre de Bruxelles

Les historiens intéressés par l’histoire culturelle du Québec attendaient depuis longtemps cette suite à Censure et littérature au Québec. Le livre crucifié (1625-1919) de Pierre Hébert, professeur au département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke. Cette deuxième partie vient de recevoir de l’Association des littératures canadienne et québécoise le Prix Gabrielle-Roy 2004 (section francophone), récompense annuelle réservée au meilleur ouvrage de critique littéraire publié en français. Contrairement au système décrit dans le volume précédent, après 1920, la censure ne fonctionne plus par voie de proscription littéraire et d’interdiction formelle édictée par le clergé. Devenue « prescriptive », elle s’avère plus difficile à déceler. Pour la traquer, l’auteur a été obligé de changer de perspective et de méthode en élargissant la notion de censure. Dans une très stimulante introduction théorique, il nous propose de distinguer : 1) la censure constitutive « qui précède et gouverne dans ses profondeurs l’acte et la parole », « fonde la loi » ; 2) la censure institutive, qui « ancrée dans les institutions (cléricale et/ou judiciaire) contrôle le dit et l’interdit » et est beaucoup plus évidente (p. 31). L’auteur propose une démarche qui s’appuie sur une appréhension interprétative de l’objet, prenant en compte sa nature relative et subjective. Une première partie, s’étalant de la période de 1920 à 1945, décrit une censure constitutive. L’hégémonie cléricale sur la vie culturelle a rendu tout interdit explicite inutile. Des organismes tels que l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française, l’Action sociale catholique et l’École sociale populaire visent « à programmer l’imaginaire » (p. 214). Sous la férule de Camille Roy et de Gabrielle Roy, on écrit pour « nationaliser » et « régionaliser » le peuple. C’est en vain que la revue Le Nigog et le critique Louis Dantin tentent d’ébranler le dogme et de défendre un art libéré de la morale. Quelques brèches s’ouvrent certes de 1930 à 1935 avec la collection « Romans de la Jeune génération » de l’éditeur Albert Lévesque et les romans de Jean-Charles Harvey (Marcel Faure et L’Homme qui va…), mais le joug clérical a bien vite fait de les réduire au silence. De la même manière, dans la deuxième moitié des années 1930, bien qu’ils ne remettent nullement en cause l’ordre catholique, des laïcs tentent d’émettre un discours anticlérical. Olivar Asselin, Albert Pelletier et Jean-Louis Gagnon se heurteront ainsi à la résistance cléricale. Le corset moral ne fait que se renforcer avec l’arrivée du gouvernement Duplessis. De 1940 à 1945, s’y greffent les contraintes de guerre. Alfred Des Rochers accepte de travailler à la propagande en produisant une oeuvre sur Dollard des Ormeaux d’une « orthodoxie parfaite », apte à « servir d’exemple en faveur de l’enrôlement et de la lutte contre l’Allemagne » (p. 131). En revanche, Adolphe Brassard est incité à renoncer à la diffusion de son Soldat inconnu, fort peu conforme aux intérêts de la Défense du Canada. La deuxième partie se penche sur les années 1946 à 1959, charnière pendant laquelle l’Église, se sentant destituée de son hégémonie, essaie de dresser un rempart devant un monde où la modernité tend à s’imposer. Le clergé a fort à faire avec l’invasion, de l’intérieur, par les livres de deux éditeurs laïques (le Cercle du Livre de France et l’Institut littéraire du Québec) et de l’extérieur, par les comic books. Pour contrer ces dangers, la maison d’édition Fides lance la revue Lectures, recueil de comptes rendus de livres assortis d’une cote morale (on regrettera à ce sujet de ne pas trouver de précisions sur le tirage et le lectorat de cette revue). …