Visages de l’altérité

L’altérité dans l’imaginaire occidental : fonction manifeste, fonction occulte[Record]

  • †Thierry Hentsch

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  • †Thierry Hentsch
    Département de sciences politiques
    Université du Québec à Montréal

L’Autre dans le miroir de l’histoire, la proposition, pour alléchante qu’elle soit, présente d’emblée un double paradoxe : l’Autre est indissociable du même, et l’histoire partiellement indistincte de la mythologie. Il ne s’agit pas d’allumer une mauvaise dispute sur mythologie et histoire ni de nier la possibilité de la rigueur historique. Placer côte à côte mythe et histoire, ici, c’est évoquer l’indistinction de la ligne qui les sépare. Or cette indistinction se retrouve à la frontière du même et de l’Autre. C’est dans le rapport de l’identité à l’altérité que la dimension mythique de l’histoire apparaît la plus prégnante. La question identitaire et la question des origines, pour toute société, baignent dans le même imaginaire. Voilà ce qui fait de l’histoire un miroir. Mais la réflexion est réversible : l’histoire à son tour s’inscrit dans le miroir de l’Autre. C’est ce double mouvement réflexif qu’il s’agit donc de suivre ici à travers l’exemple des rapports – plus tendus que jamais – entre l’Islam et l’Occident. Exercice de rhétorique qui n’est pas dépourvu d’importance, dans un monde où la parole, de part et d’autre, est une arme aussi redoutable que les bombes larguées du ciel ou posées dans les gares. Paroles et massacres agissent en étroite liaison dans le train actuel des choses. Et au train où elles ne cessent d’aller, justement, les choses risquent fort de se gâter au-delà de toute mesure. L’histoire nous rattrape brutalement, nous, le monde, nous musulmans, juifs, chrétiens ou non croyants. Et l’Autre est le mur vers lequel chacun fonce les yeux fermés, en toute bonne conscience, convaincu qu’il ne fait que se défendre et accomplir son devoir. S’il n’est ici question que des trois principales religions monothéistes qui ont la Méditerranée orientale comme bassin, c’est qu’elles ont une histoire commune et une attitude comparable envers la question de la vérité, encore que, de ce point de vue, le judaïsme diffère sensiblement de ses deux rejetons chrétien et musulman. À cette question de la vérité, les religions ou systèmes de croyance d’Asie de l’Est ne prennent aucune part, et, soit dit en passant, cette distance apparaît comme une chance pour le monde. Si on englobe les non-croyants, c’est que la laïcité (pour lui donner cette appellation insatisfaisante), ce quatrième larron de la foire d’empoigne que nous vivons, est impensable en dehors de l’évolution même du monothéisme (il est douteux que la question de la laïcité se pose pour un Chinois, pour un Japonais et, à supposer qu’elle ait quelque résonance en Inde, c’est probablement en tant que reliquat de la présence coloniale et en raison de l’actuelle cohabitation entre islam et hindouisme dans le sous-continent). La laïcité est d’abord et avant tout le produit du christianisme et, plus encore, de la chrétienté occidentale. Le terme « Occident », aussi imprécis et abusif soit-il, a l’avantage d’en rendre implicitement compte en enfermant le christianisme latin et l’Occident moderne dans la même constellation historique. Les temps modernes sont toujours plus chrétiens que les modernes d’hier et d’aujourd’hui ne l’imaginent ou ne l’acceptent, tout comme l’athéisme est bien plus tributaire du monothéisme qu’il ne le voudrait. La continuité, qui de la foi chrétienne conduit au credo de la modernité, a une grande incidence sur notre rapport à l’Autre, précisément de ce que nous avons les yeux rivés sur la rupture. C’est de croire que l’Occident moderne a rompu avec l’emprise de la religion et du religieux sur nos sociétés que vient en partie l’ambiguïté qui marque notre rapport aux sociétés musulmanes et notre regard sur l’Islam. Ces sociétés, à nos yeux, n’ont « pas encore » accompli le …

Appendices