Note de recherche

Les Français passés au Canada avant 1760Le regard de l’émigrant[Record]

  • Yves Landry

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  • Yves Landry
    Programme de recherche sur l’émigration des Français en Nouvelle-France (PRÉFEN)
    Centre de recherche d’histoire quantitative (CRHQ)
    Université de Caen Basse-Normandie

L’étude de l’image du Canada répandue en France aux xviie et xviiie siècles ne bénéficie ni des sources ni des enquêtes propres aux périodes subséquentes. À l’exception de Peter Moogk, les historiens du Régime français ne se sont guère interrogés sur la perception de la colonie par les métropolitains, sauf pour évoquer certaines généralités sur la crainte des Iroquois, de la sévérité du climat ou de la dureté de la vie en pays neuf. La rareté des témoignages directs, étant donné l’absence presque totale de traces de correspondance privée, oblige par conséquent le chercheur à recourir à des indices indirects pour tenter d’approcher l’opinion que pouvait se forger le Français moyen à propos de la réalité canadienne. Les effectifs de migrants passés entre la France métropolitaine et sa colonie canadienne avant 1760 témoignent au premier chef de l’intérêt limité des Français pour les neiges du Saint-Laurent. Dans l’état actuel des connaissances, on évalue à environ 33500 le nombre d’hommes et de femmes ayant hiverné au moins une fois dans la vallée du Saint-Laurent sous le Régime français. Pour apprécier la valeur de cet effectif, rapportons-le à l’ensemble de l’émigration outre-mer depuis la France métropolitaine. D’après Jean-Baptiste Moheau, 2500 Français partaient annuellement vers les colonies et 1000 gagnaient les pays étrangers par voie de mer. Ne suscitant en moyenne que 200 départs annuels, le Canada attirait donc seulement 6% de ces voyageurs au long cours, soit environ 10 personnes par million de Français vivant à cette époque. Comparons ces résultats avec ceux relatifs aux colonies britanniques, portugaises et espagnoles pour le xviie et la première moitié du xviiie siècle. Avec une population dépassant à peine le tiers de celle de la France, les îles Britanniques auraient envoyé au Nouveau Monde près de 380000 immigrants au cours de la période 1630-1699, soit environ 5400 individus par année et 680 personnes par million de Britanniques ; pour la période antérieure à 1760, 450000 Britanniques auraient mis le pied en Amérique du Nord, tandis que pour la période 1650-1780, la migration nette des treize colonies auraient dépassé les 600000 personnes. L’émigration portugaise vers le Brésil fut encore plus importante, atteignant près d’un million de personnes, soit un taux annuel de 3000 émigrants par million de Portugais. En Espagne, l’émigration vers les colonies a concerné 600000 personnes, soit 500 émigrants annuels par million d’Espagnols. L’image de colonie délaissée que suggèrent tous ces chiffres est renforcée par le fait que l’immense majorité des partants pour Québec n’avaient pas réellement choisi cette destination. Plus de la moitié d’entre eux étaient en effet des militaires qui — sauf exception — n’avaient nullement désiré émigrer au Canada et suivaient simplement l’ordre de leur commandement hiérarchique. Plusieurs des religieux étaient dans la même situation. Les engagés étaient des travailleurs subventionnés dirigés par leurs recruteurs vers un employeur canadien. La majorité des femmes venues seules avaient aussi fait l’objet d’un recrutement comme filles à marier qui avait porté atteinte à leur liberté de choix. Les prisonniers étaient enfin, par définition, des émigrants forcés. Bref, rares étaient les passagers libres qui, pour des raisons personnelles (commerciales, religieuses, etc.), avaient sciemment opté pour le Canada. Dans de telles conditions, comment s’étonner que plus de la moitié de ces migrants ne se soient pas installés définitivement dans la colonie, par suite d’un décès rapide ou, beaucoup plus souvent, d’un retour en métropole après un séjour de quelques années ? N’étaient-ils pas venus le plus souvent munis d’un contrat temporaire dans les troupes ou auprès d’un engageur, avec l’intention de profiter ensuite en métropole du capital amassé loin des …

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