Ce livre n’a pas fini de faire parler de lui ! Au Canada anglais, le visage qu’il présente de l’Église et du catholicisme québécois des années 1930 à 1970 est encore, je crois bien, totalement inédit ; au Québec, où E.-Martin Meunier et Jean-Philippe Warren ont déjà attiré l’attention sur le personnalisme, où Lucie Piché et Louise Bienvenue ont consacré des études très fouillées aux mouvements de jeunesse de l’Action catholique spécialisée et où Gaston Desjardins et Diane Gervais, entre autres, se sont penchés sur les transformations de la sexualité, du couple et de la famille au milieu du xxe siècle, le propos développé par Gauvreau étonnera sans doute moins, mais le portrait qu’il dessine surprendra tout de même bien des spécialistes de l’histoire socioreligieuse. Les intellectuels des années 1950 et 1960 ont dressé un acte d’accusation sans merci contre l’Église et le catholicisme d’avant 1960. Pourtant, l’effort patient de l’historiographie, depuis une vingtaine d’années, a permis de démontrer hors de tout doute que l’institution et la religion catholiques n’ont pas été seulement un adversaire et un obstacle à la modernité du Canada français, mais qu’elles ont aussi joué le rôle de ferments de cette modernité qui s’est pleinement déployée dans la culture commune et les structures de l’État pendant la première moitié des années 1960. L’originalité du livre de Gauvreau réside dans sa tentative d’articuler ces deux positions. Sa démonstration s’appuie sur une documentation variée, tirée des archives des mouvements d’Action catholique spécialisée ; des publications intellectuelles de l’époque (Le Devoir, Relations, Cité Libre, La Revue dominicaine, Maintenant) ; et enfin du fonds Paul-Larocque, conservé dans les archives de la Commission Parent. La thèse pourrait se résumer ainsi. Sans nier la persistance en son sein de courants de pensée traditionalistes, l’Église catholique d’avant Vatican II a été profondément traversée par le personnalisme, une philosophie élaborée d’abord et avant tout par des laïcs. Les préoccupations des laïcs ont ainsi été reprises par l’institution jusqu’aux plus hauts niveaux de la hiérarchie, jusqu’aux papes mêmes, et c’est ce qui ferait d’ailleurs l’originalité du catholicisme au xxe siècle. En particulier, le personnalisme a été adopté par l’Action catholique spécialisée qui, à partir des années 1930, a rejoint au Québec des milliers de jeunes garçons et filles de tous les milieux sociaux. Or, le personnalisme affirmait la supériorité de la spiritualité des jeunes, qu’on voulait faite d’une foi personnelle et d’un engagement chrétien authentique, sur celle de la génération antérieure, décrite avant tout comme superficielle et conformiste. Il donnait aussi toute son importance à la communauté (famille nucléaire fondée sur l’amour des époux, corps intermédiaires) à la fois comme lieu d’épanouissement de personnes engagées dans des relations égalitaires et comme rempart contre la dépersonnalisation qu’engendrent inévitablement des rapports sans médiation entre les individus atomisés et l’État tout puissant. Rupture avec le passé, mais tout en continuant à valoriser la famille comme cellule de base de la société, à maintenir des corps intermédiaires et à se méfier quelque peu d’une extension tous azimuts de l’État : on reconnaît bien là le projet institutionnel de la Révolution tranquille tel qu’il a été porté par le gouvernement Lesage, ainsi que les caractéristiques culturelles principales de la première Révolution tranquille. Oui, donc, poursuit Gauvreau, l’Église et le catholicisme ont pu être des ferments de la modernité au Canada français. Mais le drame, dit l’auteur, c’est que ce qui a bien commencé a mal tourné. À la fin des années 1960, que peut-on observer ? La famille est en crise, la jeunesse se donne à fond dans l’individualisme de la contre-culture, le féminisme se radicalise, …
Michael Gauvreau, The Catholic Origins of Quebec’s Quiet Revolution, 1931-1970 (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2006), xiv-506 p.[Record]
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Lucia Ferretti
Département des sciences humaines/CIEQ
Université du Québec à Trois-RivièresYvan Lamonde
Département de langue et littérature françaises
Université McGillDenyse Baillargeon
Département d’histoire
Université de MontréalEt réponse de
Michael Gauvreau
Département d’histoire
Université McMaster