Comptes rendus

LACHAPELLE, Guy, Claude Ryan et la violence du pouvoir. Le Devoir et la Crise d’octobre 1970 ou le combat de journalistes démocrates (Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2005), 192 p.[Record]

  • Anne-Marie Gingras

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  • Anne-Marie Gingras
    Département de sciences politiques
    Université Laval

Cet ouvrage de Guy Lachapelle constitue une analyse du rôle politique du journal Le Devoir durant la Crise d’octobre 1970, c’est-à-dire de l’enlèvement du chef de la délégation commerciale du Royaume-Uni à Montréal, James Richard Cross, le 5 octobre, jusqu’au départ vers Cuba de plusieurs felquistes le 28 décembre 1970. Tant les gestes de Claude Ryan et de son équipe éditoriale que les éditoriaux et bloc-notes (68) écrits durant cette période sont analysés à l’aune d’un questionnement à plusieurs volets : Le Devoir s’est-il opposé au pouvoir d’État, à sa légitimité ? Comment les positions du journal diffèrent-elles avant et après l’entrée en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre ? Comment comprendre la rumeur d’un gouvernement parallèle s’organisant à partir du journal de la rue Notre-Dame ? Comment la crise d’octobre a-t-elle pavé la voie à la question nationale ? Comment les médias peuvent-ils et doivent-ils se comporter en temps de crise ? D’entrée de jeu, les journalistes du Devoir sont campés dans une position d’intellectuels, voire de militants, bien davantage que dans une position de journalistes. Claude Ryan et son équipe éditoriale ont joué un rôle proprement politique à l’automne 1970. L’ouvrage explique les contacts établis avec plusieurs ministres (dont le Premier ministre du Québec, Robert Bourassa, et Marc Lalonde, alors chef de cabinet de Pierre Elliott Trudeau), des syndicalistes, le chef du Parti québécois, René Lévesque, l’avocat de plusieurs felquistes Robert Lemieux et même un sympathisant du Front de libération du Québec (FLQ), Pierre Vallières. Le 11 octobre, soit le lendemain de l’enlèvement de Pierre Laporte, ministre du Travail du Québec, l’équipe éditoriale du Devoir établit trois hypothèses au sujet des choix politiques qui risquaient de se présenter au gouvernement du Québec : il pouvait adopter la ligne dure et délaisser ses pouvoirs en demandant à Ottawa la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre ; il pouvait être incapable de régler la crise, auquel cas il faudrait envisager la possibilité de former une nouvelle équipe gouvernementale ; enfin, il pouvait négocier avec les ravisseurs sans abdiquer ses pouvoirs au gouvernement canadien. La position politique du Devoir s’affirme clairement lorsque Claude Ryan signe avec René Lévesque, Marcel Pepin, Louis Laberge et sept autres personnalités une déclaration demandant au gouvernement du Québec de négocier avec les membres du FLQ en échange de la remise en liberté de « prisonniers politiques ». Quatre jours plus tard, nouvel appel du groupe pour sauver la vie de James Richard Cross. Dans un éditorial de Jean-Claude Leclerc, on va même jusqu’à suggérer que les journalistes servent de médiateurs entre le gouvernement québécois et le FLQ. Claude Ryan s’indigne de la rumeur concernant un « gouvernement parallèle » qu’il tenterait de mettre sur pied, et Guy Lachapelle fait écho à cette indignation. Force est de constater, cependant, que l’activisme de Ryan et de son équipe avait admirablement bien servi les critiques du Devoir. L’auteur analyse l’évolution des événements à travers l’usage de certaines expressions : le mot crise, par exemple, n’apparaît que lorsque le gouvernement fédéral promulgue la Loi sur les mesures de guerre ; avant l’entrée en vigueur de cette loi, Le Devoir prône la « souplesse » pour régler le conflit ; la crise est avant tout québécoise pour Ryan et son équipe, alors qu’elle relève d’autres autorités, pour les acteurs politiques fédéraux ; enfin, les mots utilisés pour désigner les membres du FLQ au fil de la crise évoluent : militants, guérilleros, militants révolutionnaires, criminels, ravisseurs, agresseurs, terroristes, mouvement révolutionnaire armé, etc. La question nationale apparaît en filigrane dans les gestes faits par les diverses …