Comptes rendus

RUDY, Jarrett, The Freedom to Smoke. Tobacco Consumption and Identity (Montreal, McGill-Queen’s University Press, 2005), xii-236 p.[Record]

  • Cheryl Krasnick Warsh

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  • Cheryl Krasnick Warsh
    Département d’histoire
    Malaspina University College

Il s’agit d’un excellent livre. Il est écrit clairement, son utilisation des sources, y compris des journaux, des archives gouvernementales et des entreprises, est exhaustive et des études pertinentes sont intégrées harmonieusement au propos. Les exemples et les renseignements fournis par Rudy créent un instantané vivant du Montréal francophone et anglophone de ces années prospères et grandioses. Rudy aurait pu être plus audacieux dans ses hypothèses. Par exemple, l’idée que les femmes choisissaient de fumer les marques des hommes parce qu’elles étaient moins chères est logique (et est appuyée par une citation d’un journal). Mais les femmes pourraient aussi avoir choisi des marques avec lesquelles elles étaient familières puisque c’étaient celles que les hommes de la maison fumaient. Cela mène à la question des femmes « exigeant » ou « s’appropriant » la prérogative masculine de fumer, ce qui est une perspective libérale. Du point de vue de la culture de masse, on pourrait soutenir que les femmes et les hommes étaient imprégnés des mêmes valeurs, le marketing de masse, les médias et l’éducation publique, et qu’ils ont été élevés par les mêmes parents, de sorte qu’ils avaient inévitablement les mêmes aspirations, comme fumer, conduire une auto et posséder un emploi. Le même marché qui a nivelé les goûts des classes sociales a également nivelé ceux des sexes. Sur certaines questions, on pourrait proposer des interprétations différentes de celles que Rudy tire de ses sources. Par exemple, l’expansion rapide des aires pour fumeurs mixtes à l’Université McGill est expliquée par les efforts de l’institution pour limiter le tabagisme aux espaces privés (soit ailleurs que dans les entrées avant et sous les porches), alors même que sont créées plus d’aires réservées aux fumeuses. Je me serais attendue à ce que le couperet tombe, c’est-à-dire que les privilèges accordés aux femmes soient supprimés en raison des protestations. Ce que montre au contraire le livre, c’est une reddition rapide à la réalité du tabagisme des femmes. Rudy conclut, au chapitre 6, à la vacuité des gains obtenus par les femmes avec le capitalisme de consommation, en raison des conséquences du tabagisme sur la santé. Le capitalisme de consommation a généralement été utilisé comme épouvantail contre quelque paradis terrestre imaginé de la vie paysanne de l’époque rurale préindustrielle. Mais cette perspective marxiste a été tempérée, il y a quelques années, par l’histoire féministe, qui a démontré que la vie rurale, avec ses jours de lessive tant redoutés, ses taux de natalité élevés, son manque d’autonomie et sa sujétion religieuse n’avait pas de quoi susciter la nostalgie. Comme l’a noté Ruth Cowan dans More Work for Mother, même si les appareils électroménagers des consommatrices créaient de plus hautes attentes quant à la propreté et à la variété des repas, n’allons pas croire que monter de l’eau dans l’escalier d’un immeuble de trois étages et faire la lessive avec une essoreuse (ce qui était une amélioration par rapport aux roches) valait mieux que posséder une laveuse Maytag. Rudy accorde aussi beaucoup d’importance aux conseils de la profession médicale concernant le tabagisme à la fin du xixe et au début du xxe siècles (et il n’est pas le seul à cet égard). Pourtant, il existait une grande méfiance à l’égard des médecins avant le xxe siècle, particulièrement à Montréal, où l’exhumation de cadavres pour les expériences médicales de l’Université McGill, au milieu du xixe siècle, et la vaccination obligatoire contre la variole, à la fin du siècle, provoquèrent des émeutes. Sur tous les aspects de l’histoire des connaissances médicales, l’étude des prescriptions doit être nuancée par l’étude des pratiques. Comme tous les …