Comptes rendus

SHEWELL, Hugh, « Enough to Keep Them Alive » : Indian Welfare in Canada, 1873-1965 (Toronto, University of Toronto Press, 2004), 441 p.[Record]

  • Brian Gettler

…more information

  • Brian Gettler
    Département d’histoire
    Université du Québec à Montréal

Malgré l’ampleur des préoccupations actuelles concernant la dépendance des Amérindiens envers l’assistance sociale, aucune étude n’avait jusqu’à présent cherché à comprendre ce problème dans une perspective historique. « Enough to Keep Them Alive », de Hugh Shewell, tente de combler ce vide. Cet ouvrage se veut en effet une histoire globale de l’assistance sociale chez les Autochtones du Canada. La période choisie s’étend approximativement de la création de la Confédération canadienne jusqu’à l’instauration, en 1965, d’une nouvelle politique fédérale d’assistance sociale destinée aux Amérindiens, une politique calquée sur celles mises en oeuvre par les provinces à l’intention de leur population non autochtone. Shewell aborde ainsi un sujet d’un grand intérêt historique, non seulement parce que son étude permet de saisir la logique derrière la dépendance actuelle des Amérindiens envers l’État, mais aussi parce qu’elle interroge de façon plus globale la perception de la pauvreté dans la société contemporaine. Malheureusement, l’analyse n’est toutefois pas toujours à la hauteur de l’importance du sujet d’étude. L’ouvrage de Shewell s’organise selon une structure qui distingue deux grandes phases dans la politique fédérale d’assistance sociale envers les Amérindiens. La première, qui va de la Confédération jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, serait caractérisée par une logique d’assujettissement : Shewell, en effet, souligne l’importance du processus de dépossession territoriale – avec ses répercussions économiques, sociales et politiques – par lequel les Autochtones sont devenus, durant cette période, des objets politiques dominés par l’État canadien. Au cours de la deuxième phase, qui va de 1945 à 1965, c’est davantage la notion de citoyenneté qui imprégnait la politique fédérale. Alors qu’aucune solution de rechange à l’État libéral et à l’économie de marché ne s’est présentée aux Autochtones, la politique d’Ottawa en serait effectivement venue à adopter un caractère plus « libéral », cherchant à offrir à la population autochtone marginalisée une plus grande participation à la vie démocratique. Au-delà de cette distinction, Shewell affirme toutefois que l’assimilation demeura pendant toute la période étudiée le but avoué du gouvernement fédéral à travers sa distribution de l’assistance sociale à la population autochtone. En se servant du concept d’assimilation comme grille d’analyse, « Enough to Keep Them Alive » s’insère dans le courant historiographique traditionnel, qui définit la protection, la civilisation et l’assimilation comme les trois lignes directrices de la politique indienne du Canada, des débuts du Régime anglais jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette approche s’allie facilement avec l’interprétation dominante en histoire de la pauvreté, selon laquelle l’assistance sociale représente un outil pour l’éducation des pauvres aux valeurs du capitalisme, de la démocratie libérale et de la responsabilité individuelle. Malheureusement, Shewell semble recourir au concept d’assimilation davantage comme un cadre pour appuyer des convictions préalables que comme un outil permettant de mieux saisir son objet d’étude. Autrement dit, il échoue à poser un regard critique sur ce lieu commun qui mérite pourtant d’être questionné davantage. On peut croire, d’ailleurs, qu’une analyse moins « dogmatique » aurait permis de mieux cerner les rouages d’un phénomène aussi complexe que l’assistance sociale. Une analyse découlant du concept d’assimilation focalise nécessairement sur les actions du gouvernement et les réactions des Amérindiens. Cette approche reproduit ainsi, en quelque sorte, la vision étatique de l’époque où les Autochtones sont essentiellement des objets administratifs et non des acteurs historiques. Shewell démontre bien, par contre, à quel point la politique du Canada en matière d’assistance sociale destinée aux Autochtones était conditionnée par une logique parcimonieuse, les programmes mis en place à leur intention étant encore moins généreux que ceux — déjà déficients — destinés aux populations non autochtones. Par exemple, l’État fédéral, …