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On n’en finit plus de célébrer et de commémorer à Québec. En 2013, c’était le 350e anniversaire du Séminaire de Québec ; en 2014, c’est la canonisation de son fondateur, François de Laval. Un colloque international a été organisé pour le 350e du Séminaire et le livre sous examen en publie les communications. C’est l’occasion de connaître l’histoire du Séminaire, dans ses différentes facettes. L’ouvrage s’ouvre sur une présentation de l’historien Gilles Routhier, qui situe d’emblée les enjeux. Le Séminaire a été fondé le 26 mars 1663 par Mgr de Laval, qui lui assigne une double tâche : la formation du clergé, un réservoir de prêtres pour les paroisses et les missions. Tout change avec la Conquête : les prêtres du Séminaire sont appelés à prendre le relais du Collège des Jésuites : c’est la création du Petit Séminaire de Québec en 1768, nouvelle vocation (qui durera jusqu’en 1985). Élargissement de sa mission : en 1852, le Séminaire de Québec est amené à fonder l’Université Laval, dont il aura la responsabilité jusqu’à la nouvelle charte de 1970. Et toujours, encore aujourd’hui, l’oeuvre première demeure celle du Grand Séminaire, la formation des prêtres.

La communication suivante m’a paru le sommet du recueil. Elle est d’une spécialiste de l’histoire des missions de l’Institut catholique de Paris, Catherine Marin, qui situe « Le Séminaire au carrefour des courants réformateurs et du Nouveau Monde », en cette première moitié du XVIIe siècle. Le mouvement de mise en place des séminaires en France « dans un contexte spirituel exceptionnel » se combine avec un autre lieu d’expérimentation, la fondation d’une Église en Nouvelle-France, marquée par deux originalités : un projet messianique, celui « de fonder une Jérusalem Nouvelle sur une nouvelle Terre Promise », et l’arrivée de femmes missionnaires, ces « Amazones du grand Dieu ». Catherine Marin éclaire ensuite le contexte de la nomination de François de Laval comme vicaire apostolique en 1658 et montre comment Rome a voulu éviter par là la constitution d’un patronat français, comme ceux qui avaient été accordés en Amérique du Sud à l’Espagne et au Portugal. Voilà une synthèse tout à fait remarquable, qui a l’avantage de situer d’emblée la fondation du Séminaire dans son contexte international, politique et religieux.

Je ne pourrai accorder la même attention aux communications suivantes, qui ne sont pas particulièrement neuves et reprennent souvent des écrits antérieurs, notamment ceux de Noël Baillargeon, qui a publié l’histoire du Séminaire de 1663 à 1850 en quatre volumes (1972-1994). Pour ne donner que deux exemples, Hermann Giguère décrit les missions en Acadie et au Mississipi, tandis que James H. Lambert, archiviste de l’Université, présente les liens entre le Séminaire et l’Université.

Trois communications sont consacrées aux aspects culturels, intégrés depuis 1991 au Musée de la civilisation. Ce sont donc trois membres qui ont oeuvré ou oeuvrent dans cet organisme qui en traitent. Pierrette Lafond donne un bref historique de la bibliothèque des livres rares et anciens ; Yves Bergeron, très tourné vers lui-même, montre sa contribution, en particulier comme conservateur du Musée de l’Amérique française de 1991 à 1995. Mais la communication qui m’a conquis est celle de Vincent Giguère, une fine analyse des collections et des musées du Séminaire de Québec. On ne se rend pas compte de la quantité de collections mises sur pied par le Séminaire : Cabinet de physique (1806), sciences naturelles (1810), numismatique (1811), minéralogie (1816), puis différents musées, notamment lors de la création de l’université, en 1852 : Musée minéralogique (1858), de zoologie (1858), de botanique (1862), d’insectes (1864), Musée indien de Taché (1866), mis sur pied, remarquons-le, au moment où Québec était capitale du Canada-Uni (1852-1855, 1859-1865). Plus tard viendra la Pinacothèque, qui se muera en Musée de peinture, avec une riche collection d’estampes et de gravures.

Giguère ne fait pas que décrire, il analyse tous ces éléments, de manière pénétrante, utilisant les ouvrages disponibles. Ainsi, pour le Cabinet de physique, la thèse imposante de Paul Carle est mise à profit. De l’ouvrage de Carole Duncan, il tire la définition du musée du XIXe siècle comme un espace de transcendance (l’omniprésence de Rome est analysée ici de manière saisissante). Quant au livre de Hans Belting, Pour une anthropologie des images (2004), il montre l’effet que l’image produit sur ceux qui la voient. Dans ce cas-ci, l’image devient « un élément clé de l’environnement visuel et de l’identité culturelle de l’individu qui vit ou s’instruit au Séminaire. Curieux d’en savoir davantage, j’ai vu que Vincent Giguère est le conservateur de l’exposition « Révélations : l’art pour comprendre le monde », qui met en valeur les trésors du Musée de l’Amérique française (désormais : francophone), qu’on peut visiter jusqu’au 15 mars 2015. Que ne donnerais-je pour visiter cette exposition sous sa houlette !

Du reste de l’ouvrage, je retiens le texte de Marc Pelchat sur le Grand Séminaire de Québec, surtout précieux pour la période récente, où on apprend que le Grand Séminaire a déménagé dans la maison des Soeurs de la Sainte-Famille de Bordeaux de 1979 à 1997, avant de revenir au Séminaire du Vieux-Québec, et que le nombre de séminaristes est passé de 212 en 1959 à moins de 50 en 1990 et à moins de 20 en 2011.

Le colloque s’est tenu en mai 2013 et a été publié la même année. Publication rapide, mais au prix d’une révision bâclée, d’où plusieurs coquilles : Bailly de Messein devient Bailly de Messiaen, Jean-Philippe Warren est désigné comme L. P. Wharren, et surtout, après avoir vanté Jacques Lacoursière, Yves Bergeron le présente comme le fondateur du programme d’ethnologie de l’Université Laval, le confondant avec Luc Lacourcière. On attend mieux des Presses de l’Université Laval et des responsables de l’ouvrage.

Au total, le livre contient donc quelques excellents articles, beaucoup de répétitions, et, à mon avis, une grande lacune : rien sur le volet économique, pourtant capital, dans l’oeuvre du Séminaire. Un beau sujet qui reste à traiter.