Comptes rendus

Caron, Caroline-Isabelle, Se créer des ancêtres. Un parcours généalogique nord-américain XIXe-XXe siècles (Québec, Septentrion, 2006), 289 p.[Record]

  • Caroline Legrand

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  • Caroline Legrand
    Laboratoire d’Anthropologie sociale
    Paris

Cet ouvrage se situe dans la lignée des écrits socio-anthropologiques publiés ces dernières décennies autour du phénomène et de l’intérêt généalogiques. Son auteure, Caroline-Isabelle Caron, y explore de manière toute particulière les conditions de production, d’invention, de réactualisation d’un récit généalogique, en se basant sur l’analyse d’un vaste corpus de textes généalogiques publiés par les descendants de deux frères wallons ayant vécu fin xvie – début xviie siècle : Jesse et Gérard Forest. La descendance dont il est question ici est implantée en Amérique du Nord où elle s’est constituée en association en 1994, et c’est précisément toutes les archives qu’elle a produites qui fournissent à Caroline-Isabelle Caron les données nécessaires à sa recherche. L’ouvrage, écrit au demeurant dans un style plutôt agréable, comporte cinq chapitres. Le premier s’intitule « Comment et pourquoi écrire sa généalogie ». Dans un premier temps, l’auteure questionne le sens que l’on prête traditionnellement au terme même de « généalogie ». Perçue à la fois comme une lignée, c’est-à-dire une suite d’ancêtres ou plus encore, une liste d’engendrements, la généalogie est aussi une science qui a pour objet la recherche d’ascendant. Cette recherche suppose la manipulation d’archives orales et écrites, d’instruments et de savoir-faire. Par conséquent, la généalogie ne peut se comprendre indépendamment des outils, des matériaux et des connaissances qu’elle mobilise. Ayant ainsi défini l’univers de la généalogie, Caroline-Isabelle Caron démontre, dans un second temps, que la constitution d’écrits généalogiques suit un ensemble de règles, de normes, socialement et culturellement construites. En Occident, cette écriture repose en effet sur l’usage de marqueurs temporels – comme la référence explicite à l’ancêtre fondateur ou le décompte générationnel – et de topos – énonciation d’une unité temporelle, d’un schème héréditaire, de la survivance des traditions familiales. Pour conclure ce chapitre, Caroline-Isabelle Caron se demande, dans un troisième temps, qui sont précisément les sujets de la généalogie. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité d’ailleurs que bon nombre de parutions sont le fait de personnes rattachées à des mouvements associatifs comme le sont d’ailleurs les Forest. Engagées dans un certain nombre d’activités collectives mais ô combien singulières (à l’instar des rassemblements patronymiques par exemple), ces personnes revendiquent par ailleurs une parenté commune, en dépit du caractère flou et flexible des contours pris par cette parenté. De sorte que, lorsque l’un des membres de ce cercle s’exprime, c’est toujours pour et au nom du groupe. Le nous – en l’occurrence les Forest, Foret et/ou de Forest – devient alors tout à la fois sujet de son récit, sujet d’un « rapport collectif au passé », et marqueur d’une spécificité forte – celle qui unit chaque membre du groupe à ses ancêtres les plus héroïques, c’est-à-dire à ses ancêtres fondateurs, ceux-là même qui les ont enracinés dans le Nouveau Monde et dont on se plaît à sacraliser et à réinventer l’existence. « Seuls devant ses ancêtres », le deuxième chapitre met en avant l’histoire généalogique des Forest, telle qu’elle a été reconstituée par le romancier américain John William De Forest (1826-1906). Elle permet à Caroline-Isabelle Caron de souligner, une nouvelle fois, combien ce type de récits reflète le contexte idéologique de son temps. Par exemple, s’y trouvent affirmées des idées sur la supériorité de la race blanche. L’autre intérêt qu’il y a à étudier cette production généalogique, c’est qu’elle révèle un mécanisme de valorisation, fréquent chez tous ceux et celles qui sont en quête constante tantôt de référents patrimoniaux, tantôt de reconnaissance sociale. En l’occurrence, ici, la volonté de faire d’un de ses ancêtres (Jesse de Forest) le fondateur de New York. Cette affirmation ne résiste ni …