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« Préparer la jeunesse canadienne, non seulement à l’état ecclésiastique et aux professions libérales, mais encore à la carrière commerciale et industrielle », voilà comment les autorités du Séminaire Saint-Joseph de Mont-Laurier définissaient la mission de leur institution en 1915-1916. L’ouvrage de Félix Bouvier, Histoire du Séminaire de Mont-Laurier, vient précisément mettre en lumière le rôle de ce collège dans le développement dit « intégral » de la région des Hautes-Laurentides au cours de la période 1910-1965. L’auteur s’intéresse à la formation de l’élite cléricale et professionnelle donnée au sein de cette institution, mais souligne aussi l’importance accordée à la préparation des classes moyennes. En insistant sur le caractère diversifié de la formation — les cours commercial et classique étaient offerts, mais on ouvrit aussi une école d’Arts et Métiers et une école d’Agriculture —, Bouvier s’inscrit au sein d’un courant de réinterprétation du mouvement de colonisation périlaurentienne. Inspiré par les travaux de Gabriel Dussault et de Christian Morrissonneau, il présente la colonisation, et les institutions qu’elle met en place, comme une entreprise complexe et relativement bien adaptée aux impératifs économiques et sociaux de son époque. Il récuse de ce fait les thèses plus classiques présentant le mouvement comme entièrement tributaire d’une idéologie agriculturiste et passéiste.

Version remaniée d’une thèse de doctorat présentée à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal en 2003, l’ouvrage comporte trois parties d’une longueur et d’un intérêt inégaux. La première, heureusement la plus courte, vient faire office de contexte. Il s’agit en fait d’un bilan historiographique présentant les ouvrages importants et les polémiques traversant quatre champs d’étude liés au sujet : l’enseignement classique, la colonisation, le développement des Hautes-Laurentides et de Mont-Laurier et l’évolution socioreligieuse du Québec. Ce genre d’exercice, propre à toute bonne thèse de doctorat, détonne un peu dans le cadre d’un ouvrage publié. Avec ses longues citations, parfois mal intégrées au récit, et son style plutôt scolaire, cette première partie s’avère bien longue, d’autant qu’elle ne contient, à toutes fins utiles, pas de matériel original. L’auteur aurait pu aisément fusionner ces informations contextuelles et historiographiques à la démonstration, d’autant que celle-ci est livrée, du moins au chapitre deux, sur un mode chronologique. En lieu et place de cet état de la question, on aurait préféré une présentation critique et détaillée du corpus documentaire sur lequel s’appuie la recherche. Des précisions concernant les paramètres de l’enquête orale (nombre d’entrevues, mode d’échantillonnage) auraient, en outre, été appréciées.

Il faut donc patienter jusqu’à la page 80 pour entrer enfin dans le vif du sujet. Avec la deuxième partie, « Le Collège de Nominingue et le Séminaire de Mont-Laurier », la lecture devient plus intéressante et instructive. Les débuts de l’institution, retracés de façon minutieuse par Bouvier, sont particulièrement révélateurs de la particularité pédagogique de cette maison d’enseignement.

Le projet d’une institution d’enseignement supérieur dans les Hautes-Laurentides, imaginé dès 1878 par le curé Antoine Labelle, ne voit toutefois le jour qu’après bien des atermoiements, dans le village de Nominingue en 1910. C’est au collège Sainte-Marie-de-Monnoir en Montégérie que les chanoines réguliers de l’Immaculée-Conception, chargés du projet, trouvent un programme de formation sur lequel prendre modèle. Ce programme est, en réalité, une formule mixte des formations commerciale et classique : l’étudiant y fait d’abord trois années de formation « commerciale », axées sur l’apprentissage du français, de l’anglais et des mathématiques, puis dans la mesure où il souhaite poursuivre, entre alors au « classique » pour y étudier le latin, le grec et la littérature pendant trois autres années. Les plus persévérants complètent ensuite leur baccalauréat ès arts par deux années de philosophie. Cette formule hybride, mettant l’accent sur des notions concrètes dès les premières classes, s’avère dans les faits bien éloignée de l’orthodoxie du ratio studiorum. Dans un esprit pragmatique, elle tenait cependant compte du fait que, dans cette région de colonisation récente, de nombreux jeunes ne fréquentaient le collège que quelques années.

Après des débuts modestes, le développement du collège se trouve bientôt accéléré par l’afflux de plusieurs élèves et de professeurs provenant de la fermeture de Monnoir en 1912. À la suite d’un incendie survenu en 1913 et de la création d’un diocèse à Mont-Laurier, le collège déménage dans la nouvelle ville épiscopale. Il reçoit alors le mandat plus officiel de former la relève cléricale. L’objectif de développement intégral de la région n’est toutefois pas oblitéré. À preuve, dès 1915-1916, une première tentative pour offrir un enseignement agricole se concrétise, bientôt suivie d’une formation aux arts et métiers.

Si la formule pédagogique du Séminaire de Mont-Laurier possède un cachet original, le mode de vie qui y prévaut ressemble cependant à celui de la plupart des internats de l’époque. Malgré la chaleur propre à une institution de taille modeste — le collège n’accueille jamais plus de 350 élèves —, l’austérité prévaut. L’atmosphère est studieuse et le rythme des journées ponctué par les exercices spirituels imposés. L’esprit nationaliste imprègne aussi la vie collégiale. Par ailleurs, quelques activités parascolaires ont la cote auprès des étudiants : le théâtre, les académies de débats oratoires, la fanfare. Cependant, le sport occupe pendant longtemps la part congrue.

L’évolution de l’institution lui fait, en quelque sorte, perdre son originalité. À partir de l’année 1925-1926, la rupture entre le cours classique et commercial s’affirme et sera consommée au milieu des années 1930. Comme dans la plupart des autres séminaires ou collèges régionaux, le cours classique tend à devenir la formation dominante et la plus valorisée. L’année 1946-1947 marque des sommets en termes d’inscriptions : 336 élèves en tout, soit 169 au cours classique, 85 au cours commercial, 20 au centre d’initiation artisanale et 42 à l’école d’agriculture. Un déclin s’amorce par la suite. Au cours des années 1940, le mouvement de colonisation s’essouffle et on assiste plutôt à un exode rural.

Bouvier consacre un chapitre entier à la dernière période du Séminaire, soit les années 1950-1965. S’appuyant en grande partie sur des entrevues réalisées auprès d’anciens élèves et professeurs, il témoigne d’une stagnation certaine de l’institution, malgré certains efforts d’innovation pédagogique. La baisse des vocations, l’abandon du grec, la syndicalisation des professeurs laïques sont autant de signaux qui annoncent la fin d’une ère. Quand, en 1964, la messe devient facultative, sa fréquentation baisse subitement de 90%... En 1965, le séminaire est le premier au Québec à être vendu à la commission scolaire de la région.

La troisième et dernière partie du livre est essentiellement consacrée à une étude quantitative réalisée à partir des cahiers d’inscription des années scolaires 1919-1938. La raison qui motive une étude aussi pointue, alors que la période couverte par lest plus large (1910-1965), est insuffisamment justifiée : l’auteur se contente de dire que ces sources « font défaut pour les autres années », ce qui ne manque pas d’étonner. Bouvier passe donc au peigne fin les données relatives aux inscrits de cette courte période, prenant en considération deux grands paramètres : la catégorie socioprofessionnelle du père et celle atteinte par les fils (les élèves) au cours de leur vie active. Comme on pouvait s’y attendre, les données témoignent d’un phénomène de reproduction sociale pour les classes plus aisées, mais elles indiquent aussi plusieurs figures d’ascension sociale, en particulier chez les agriculteurs qui fournissent au clergé plusieurs vocations. Les conclusions recueillies sont ensuite croisées avec celles provenant d’autres institutions d’enseignement classique comme Nicolet, Trois-Rivières et Chicoutimi, ce qui enrichit considérablement l’analyse. Enfin, Bouvier traite des données associées à l’origine géographique des élèves.

Histoire du Séminaire de Mont-Laurier n’est pas un livre exempt de défauts. Une structure un peu boiteuse, un cadre théorique mal assuré, se posant en faux contre les théories de la reproduction de Bourdieu, et une écriture souvent maladroite sont autant d’éléments qui nuisent à la fluidité de la démonstration. Malgré ses aspects moins réussis, la recherche de Félix Bouvier apporte néanmoins une notable contribution à la connaissance. Dans un contexte où les monographies d’histoire portant sur les collèges classiques et séminaires diocésains du Québec sont choses rares, l’ouvrage de Félix Bouvier apporte un éclairage fort bienvenu, permettant d’enrichir la connaissance trop partielle et imprécise que nous avons encore de notre réseau d’enseignement secondaire privé tel qu’il existait avant les grandes réformes des années 1960.