Comptes rendus

De Castelnau-L’Estoile, Charlotte et François Regourd, dir., Connaissances et pouvoirs. Les espaces impériaux (xvie-xviiie siècles), France, Espagne, Portugal (Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « La mer au fil du temps », 2005), 412 p.[Record]

  • Catherine Desbarats

…more information

  • Catherine Desbarats
    Département d’histoire, Université McGill

Ce collectif est le troisième dans une série dirigée par Silvia Marzagalli, auteure d’une étude magistrale sur le commerce bordelais. Les vingt textes rassemblés ici livrent aux lecteurs les résultats d’un colloque tenu il y a cinq ans à Paris. Les contributeurs, tous spécialistes de l’expansion européenne et des mondes coloniaux de l’époque moderne, posent ensemble des questions quant aux liens entre la gouvernance de territoires lointains et la construction et la diffusion de savoirs sur ces mêmes espaces d’outre-mer. Charlotte de Castelneau-L’Estoile et François Regourd signent une introduction fort efficace qui évoque le moment historiographique donnant l’impulsion à cette réflexion, ainsi que la volonté comparatiste qui la sous-tend. Ils soulignent notamment la possibilité d’une convergence fertile entre l’histoire des sciences et l’histoire politique. Alors que la première se « déseuropérise » tranquillement depuis la parution en 1967 de l’article « The Spread of Western Science » de George Bassala, Science, 156,3775 (mai 1967), et alors qu’elle s’ancre de plus en plus dans des contextes d’impérialisme ou de colonisation, l’histoire des sciences gagnerait, selon eux, à contempler plus directement les modalités concrètes de l’exercice du pouvoir colonial. Quant à l’histoire politique, qui se renouvelle tout autant, entre autres par l’abandon de trames téléologiques qui se déplacent depuis un « centre impérial » vers des « périphéries coloniales », elle s’enrichit tout autant, selon eux, lorsqu’elle s’attarde davantage au rôle des savoirs dans la constitution du pouvoir, et lorsqu’elle s’inspire de certains acquis de l’histoire des sciences, tel le constat de l’importance des réseaux. Les lecteurs nord-américains trouveront dans Connaissances et pouvoirs une excellente porte d’entrée vers une histoire en construction. Des références toutes aussi récentes que difficiles d’accès, publiées surtout en Europe et en Amérique latine, fourmillent dans des notes en bas de page qui auront à elles seules une valeur inestimable. Pour les chercheurs oeuvrant plus particulièrement sur l’Amérique française, la prépondérance de textes portant sur des contextes espagnols (dont trois écrits en espagnol) ou portugais constitueront un bon point de départ pour d’éventuelles comparaisons, qu’il s’agisse des premières « découvertes », du rôle des religieux, missionnaires ou non, dans la connaissance ou la gestion du territoire, ou encore d’enquêtes et de projets d’État d’envergure. Jean-Michel Sallmann nous rappelle d’ailleurs dans sa conclusion que les réseaux de connaissances balisés par les Portugais depuis le xve siècle, et par les Castillans depuis le début du xvie (traités ici entre autres par Francesc Relaño et par Francisco Bethencourt) forgent un capital intellectuel qui sera exploité plus tardivement par les Français, Britanniques et Hollandais, et ce, en dépit de la politique portugaise du secret. Certains textes transcendent dans la même veine les bornes d’un seul espace colonial. À partir de sources largement inédites, tirées d’archives espagnoles, mexicaines et portugaises, Mickaël Augeron révèle les nombreuses « complicités », parfois « forcées, parfois voulues » (p. 61) qui ont appuyé les expéditions huguenotes transatlantiques de la seconde moitié du xvie siècle : pilotes et puis colons ibériques, Amérindiens et enfin étrangers établis dans les colonies latino-américaines, contribueront par leur savoir aux expéditions montées par les marins huguenots à la recherche de profits. Neil Safier relève d’autres trajectoires transatlantiques liant Français et Ibériques, plus ponctuelles, cette fois, et tissées au xviiie siècle – celle de l’envoi d’échantillons botaniques péruviens au Jardin du roi de France par des académiciens basés à Quito, et celle, reliée, de la traduction et de l’édition anonyme française des Commentarios reales (1609) de l’Inca Garcilaso de Vega. Pour Safier, l’Histoire des Incas, Rois du Perou (1744), illustre le rôle de l’imprimé dans la constitution du …