Comptes rendus

McKay, Ian, Rebels, Reds, Radicals. Rethinking Canada’s Left History (Toronto, Between the Lines, 2005), 254 p.[Record]

  • Martin Petitclerc

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  • Martin Petitclerc
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Dans ce livre, Ian McKay se lance dans une exploration de « reconnaissance » sur le terrain miné de l’histoire de la gauche canadienne. Cet essai concis précède la publication prochaine d’une histoire de la gauche canadienne en trois volumes. Étant donné la grande qualité de l’ensemble de la production de ce chercheur, aucun doute que ce projet sera une contribution majeure à l’histoire canadienne. En attendant, l’auteur nous invite à prendre connaissance des fondements de sa vision personnelle de cette histoire dans cet essai stimulant et engagé. S’adressant tout autant aux historiens de la gauche qu’aux militants, ce livre tente de refonder une gauche éclatée en repensant son histoire dans sa globalité. Au lieu des débats doctrinaires qui ont profondément divisé la gauche, McKay propose plutôt une histoire du socialisme canadien qui accorderait moins d’attention aux divisions internes afin de mieux souligner la profondeur des aspirations communes qui l’ont marquée. McKay définit d’une façon large et inclusive le projet de la gauche, soit celui d’une « utopie réelle » qui oppose au « monde [capitaliste] de la nécessité » un « monde [socialiste] de liberté », d’une utopie qui pousse à élargir l’espace démocratique en expérimentant « la possibilité objective de vivre autrement ». Plutôt que de restreindre d’une façon essentialiste cette utopie à un noyau dur de convictions doctrinaires intemporelles, McKay propose une définition ouverte et susceptible d’être historicisée autour de préoccupations à l’égard des injustices de l’ordre libéral, de la nécessité d’une transformation sociale et de la possibilité d’une alternative démocratique. Ce qui permet d’envisager l’existence d’une gauche radicale plurielle autour de ce large pôle de préoccupations communes. Cette définition non essentialiste du projet socialiste implique une réévaluation de la place de son sujet historique traditionnel : la classe ouvrière. L’auteur évoque, à côté de l’expérience du salariat industriel, plusieurs autres « chemins » vers la conscience socialiste : les expériences relatives aux inégalités ethniques, nationales, sexuelles, générationnelles, mondiales, de même que l’inspiration que peuvent provoquer la religion et la science dans notre capacité de refuser le monde de nécessité. À partir de ces réflexions, McKay approfondit les fondements de sa stratégie de reconnaissance. L’historiographie, en construisant traditionnellement le récit « vertical » d’un sujet (les syndiqués, les communistes, les néo-démocrates, etc.), a négligé le fait que ces acteurs font face aux mêmes enjeux qui changent dans le temps et dans l’espace. Pour l’auteur, la stratégie de reconnaissance doit plutôt s’attarder à comprendre la logique « horizontale » de la lutte elle-même, cherchant moins à établir de (fausses) continuités verticales entre diverses générations de militants qu’à établir ce qui constitue le coeur de l’opposition pour les acteurs d’une gauche plurielle à une époque donnée. Pour saisir cette logique, l’auteur propose de réfléchir à partir de ce qu’il appelle les « événements matrices » (matrix-events) qui provoquent une remise en cause de l’ordre hégémonique. Ces événements (crises économiques, guerres, etc.) ouvrent la porte à de grands « moments de refus », à une prise de conscience aiguë de la réelle possibilité de vivre autrement. C’est ainsi que naît ce que l’auteur appelle une « formation » de gauche, au-delà de la pluralité des sujets et des conflits qui la divisent. Que signifie expérimenter « la possibilité objective de vivre autrement » dans le contexte spécifique canadien ? Il faut ici saisir ce qui fait l’originalité du « projet libéral canadien », soit la mise en place, dès les années 1840, d’un ordre libéral très méfiant à l’égard des débordements démocratiques populaires. La puissance de cet ordre libéral a façonné la gauche canadienne et l’a entraînée dans une lutte …