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Cet ouvrage collectif, nous informent d’entrée de jeu ses directeurs, veut répondre à une nécessité : celle de présenter les contributions, méconnues, des peuples autochtones à la construction du Canada et à son identité contemporaine. Sous ce terme vague de « contributions », mot clé du titre, pouvaient se ranger quantité de réponses, rassemblant autant des idées que des patrimoines matériels et des hommes et des femmes célèbres. Des réponses, il y en eut, puisque ce volume, à l’issue de l’appel à publication lancé en 1999, est annoncé comme le premier de deux, documentant une grande variété de thèmes et de réalisations, qui vont de l’indigénisation de certains aspects du système de justice canadien à des courants artistiques et des portraits de chefs, acteurs, peintres, sportifs et autres personnalités.

Les auteurs de ce livre proviennent d’horizons divers : se côtoient des professeurs d’université, des étudiants (de Cora Voyageur, à l’Université de Calgary), des conservateurs de musée, des écrivains, des consultants d’organisations et des serviteurs de la fonction publique. Parmi eux, on remarque Bryan Cummins, anthropologue, Carol LaPrairie, criminologue, Gerald McMaster, qui a marqué le Musée canadien des Civilisations, Drew Hayden Taylor, écrivain ojibwa, David T. McNab, historien métis, J. Rick Ponting, sociologue, ou encore la regrettée Gail Valaskakis, autorité en matière de médias autochtones, qui est décédée en juillet 2007.

Le livre comporte neuf sections, sept d’entre elles (de tailles inégales) étant consacrées à des thèmes précis : les traités, les arts et médias, la littérature, la justice, les identités culturelles (« Culture and identity »), les sports et enfin l’armée. Chacune offre de brèves biographies, de deux ou trois pages, d’illustres figures autochtones, passées ou présentes, certaines nous ayant quittés après la parution du livre (Harold Cardinal en particulier, décédé le 3 juin 2005). Ces profils sont insérés entre de plus gros chapitres, portant par exemple sur les relations entre les Autochtones et le gouvernement, sur le développement des communications au Nunavut, sur les systèmes alternatifs de justice, sur les noms chez les Inuit ou sur les cowboys de rodéo. À côté de chapitres qui suivent un modèle très universitaire de construction du propos, on trouve des essais plus personnels, comme celui sur le sens de l’humour chez les Autochtones de Drew Hayden Taylor, ce qui décloisonne agréablement les documentations historiques, au ton volontairement détaché, de leur froideur pour leur donner une résonance plus concrète et plus vivante.

Au premier abord, l’impression de fourre-tout qui se dégage de la table des matières peut gêner. Que l’artisanat mik’maq en matière de mobilier voisine la dépossession des territoires fait craindre que le projet politique contenu dans le titre de l’ouvrage n’aboutisse en fait qu’à un catalogue dénué de fil conducteur, brassant large pour rehausser la visibilité des Autochtones dans la société canadienne (ou plutôt atténuer leur invisibilité) et non destiné à aborder véritablement leur apport à la mosaïque culturelle et sociale du pays. En fait, peut-être est-ce le mot contributions qui trompe le lecteur : c’est aussi de tribut, souvent lourd, dont il est question. Car un apport peut autant venir d’une addition que d’une soustraction : les Autochtones n’ont pas toujours donné leurs legs au Canada de leur plein gré. Prenant en compte ces deux dimensions, l’ensemble apparaît dès lors plus équilibré, ne tombant ni dans le piège de la victimisation ni dans le panégyrique exagéré, et suit une ligne éditoriale qui se détache heureusement d’un « eurocanadianocentrisme » que l’on appréhendait. À cet égard, l’introduction, dans la première section, doit retenir l’attention, car elle contient tout le programme théorique et analytique qui sous-tend l’apport documentaire. Elle fait le point sur les conditions, politiques, historiques et sociales, de développement d’une conscience postcoloniale, dont les contours restent à définir, sur les défis intellectuels que pose ce que les directeurs appellent le « projet de visibilité », c’est-à-dire l’examen critique et la réécriture de l’histoire canadienne, sur les défis sociétaux que doivent relever les Amérindiens, les Inuit et les Métis, et conséquemment les autres Canadiens, dans les décennies à venir. Le chapitre qui clôt le livre, de J. Rick Ponting et Cora Voyageur, plante d’ailleurs un premier jalon pour aborder avec de nouvelles orientations la recherche future. En effet, les auteurs cherchent à y mettre en avant les horizons positifs de ces défis sociétaux du côté des Autochtones, se positionnant fermement face au « deficit paradigm », modèle misérabiliste qui a longtemps prévalu en sciences sociales et qui, quoique ont l’air d’en laisser penser les deux chercheurs, n’a pas été sans fondements empiriques.

Il est difficile de juger ce volume sans connaître le deuxième, car les manques qu’on serait tenté de relever seront peut-être comblés dans l’ouvrage qui va suivre. Il comprend de nombreuses photos, de personnages publics, d’oeuvres artistiques, de couvertures de journaux autochtones. On regrette cependant, au niveau visuel, la rareté des cartes géographiques (une seule, des traités historiques), alors qu’il aurait semblé judicieux de montrer, par exemple, la répartition des Autochtones dans le pays. On note également une certaine disparité entre les chapitres, qui est typique des collectifs, en particulier entre les notes biographiques, qui ne sont pas toutes de même qualité. Au-delà de ces aspects, le contenu et le projet global sont les bienvenus. Pour ma part, je conseillerai volontiers la lecture de cet ouvrage à mes étudiants pour les ressources pratiques qu’il fournit, comme ce tableau chronologique qui résume les relations entre les Autochtones et le gouvernement de 1945 à 2002 (p. 53-56), pour les voies d’investigation qu’il suggère et pour les sujets de réflexion qu’il génère. Outre aux étudiants, ce livre peut être recommandé à un public universitaire en général ainsi qu’à une plus large audience puisqu’il est facilement accessible. En fait, il ne faudrait justement pas le recommander uniquement à ceux qui se soucient des questions autochtones, mais aussi à ceux qui s’intéressent à l’art, à la littérature, à la justice, aux sports… Sinon, ne risquerait-on pas de passer à côté de son message ?