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Le livre More Than Words. Reading in Transport, Communication and the History of Postal Communication, dirigé par John Willis, est pour le moins un ouvrage ambitieux. Structuré de manière originale, le livre présente des chapitres rédigés en anglais et en français, ce qui permet d’élargir le bassin potentiel des lecteurs et de favoriser une dimension linguistique non négligeable dans un pays où ces deux langues sont reconnues officiellement. Quelques chapitres sont également consacrés à des épisodes de l’histoire américaine, ce qui élargit le corpus d’analyse. Face à une approche linguistique et contextuelle adroite et judicieuse, l’ouvrage représente l’aboutissement d’un projet collectif qui s’inscrit dans le prolongement d’événements qui ont marqué son coup d’envoi. Dans l’introduction, John Willis mentionne que ce projet d’écriture a pris forme à la suite de deux séances sur l’histoire postale organisées dans le cadre de la rencontre annuelle de la Société historique du Canada, en 1999. Le service postal et les communications interpersonnelles constituent, selon lui, les deux bassins de l’historiographie sur lesquels s’appuie la parution de ce livre.

L’ouvrage comprend 21 chapitres et est divisé en quatre parties principales. La première convie le lecteur à une approche systémique et symbolique du service postal de la Nouvelle-France jusqu’en 2001 ; la seconde s’inscrit dans les pratiques et la culture épistolaires ; la troisième relate divers épisodes consacrés aux gens et à leurs missives ; enfin, la quatrième partie nous conduit dans l’univers des communications et des moyens de transport.

Devant une telle diversité de sujets, le lecteur devra s’attendre à des contrastes saisissants, passant du Régime français à la tragédie du World Trade Center. Par moments, le fil conducteur paraît bien mince même si d’entrée de jeu le directeur nous propose une division logique. La diversité est telle qu’elle ne se manifeste pas uniquement au niveau des sujets traités, mais aussi à celui de la profondeur des analyses. Certains textes se présentent comme de véritables petits bijoux ciselés par une analyse fine, complète et sans ambages. Le texte sur l’histoire et la géographie du bureau de poste de l’Île-du-Prince-Édouard (chapitre 6), de même que celui sur les liaisons épistolaires illégitimes entre l’abbé Casgrain et l’Irlandaise Kate E. Godley (chapitre 13) en témoignent. À l’inverse, d’autres textes, et ils sont peu nombreux, ont un vernis d’analyse par le manque d’approfondissement du sujet traité (« nous n’avons malheureusement pas trouvé d’information qui nous permettent de découvrir » (p. 137) ; « à ce stade de nos recherches, nous ne croyons pas que… » (p. 137)) ; ou révèlent une approche un peu infatuée par l’emploi du vocabulaire : « notre contribution est aussi unique puisque nous pouvons comparer… » (c’est nous qui traduisons) « Our contribution is also unique, since we are able to compare… » (p. 196) ; « deux mentions très brèves ont attiré mon attention… » (p. 315).

En dépit de critiques susmentionnées, la majorité des auteurs font preuve d’une originalité d’analyse remarquable, ce qui constitue la pierre angulaire de l’ouvrage. Le texte sur le soulèvement et l’occupation du bureau de poste à Vancouver (chapitre 2) renvoie à une sémiotique des lieux et de l’architecture qui s’inscrit en contrepoint des événements troublants de 1938. Le traitement postal au Canada (chapitre 3) n’est pas sans rappeler la production taylorisée qui devient, au début du xxe siècle, la norme de l’industrie automobile chez Ford. Les renseignements secrets en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (chapitre 8) représentent « un objet d’étude peu défriché en raison même du mystère qui l’entoure et de la rareté des sources » (p. 142). Qu’à cela ne tienne ! L’auteur présente une série de paramètres basés sur des codes, des nomenclateurs ou des renseignements chiffrés qui révèlent une dimension cachée de la guerre des Sept Ans ! Nous pourrions ainsi cheminer longuement en faisant ressortir les caractéristiques d’autres textes qui se démarquent par une approche originale et une analyse rigoureuse.

Cette publication est d’autant plus méritoire que son directeur, John Willis, a su rassembler en un tout cohérent une mosaïque de textes et publier un ouvrage qui invite le lecteur à réfléchir sur la question qu’il soulève lui-même dans l’introduction, à savoir : « qu’est-ce que l’histoire postale ? [si ce n’est que] l’étude d’une habileté et d’une volonté de garder le contact, essentiellement par l’écrit » (p. 14). La principale contribution de ce livre vient de ce qu’il permet de projeter le récit postal au rang d’histoire non pas en présentant au lecteur une collection de faits isolés, mais en les ordonnant de façon structurée et méthodique. En outre, cette contribution suscite un véritable intérêt en levant le voile sur un pan de l’histoire longtemps occulté et parfois récupéré par le genre épistolaire. Cet ouvrage, important à plus d’un titre, ne devrait pas se limiter uniquement aux historiens, mais susciter un engouement auprès d’un vaste public de par le choix des textes et de la langue.