Comptes rendus

LACHANCE, Nathalie, Territoire, transmission et culture sourde. Perspectives historiques et réalités contemporaines (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007), 292 p.[Record]

  • Stéphane-D. Perreault

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  • Stéphane-D. Perreault
    Red Deer College, Alberta

L’étude de la surdité comme phénomène social et historique amène forcément les chercheurs à puiser à diverses disciplines des sciences humaines. Nous en avons un exemple dans le volume publié l’an dernier par Nathalie Lachance, anthropologue et chercheure associée à l’Université de Sherbrooke. Ce volume dépasse largement les limites de l’anthropologie et, en fait, la première partie (soit 111 pages) constitue une étude historique de la surdité en France, aux États-Unis et au Québec. Non seulement cette explication historique est-elle nécessaire pour rendre compréhensibles les théories développées en deuxième partie, mais l’analyse anthropologique qui suit enrichit le regard historique posé sur la réalité sourde. Jusqu’aux années 1960-1970 environ, l’histoire des sourds reste étroitement associée à l’espace scolaire des pensionnats spécialisés qui avaient été créés pour eux sur le modèle de l’école fondée par l’abbé Michel de l’Épée à Paris au xviiie siècle. Cela a naturellement amené les historiens qui se sont penchés sur cette histoire à l’étudier du point de vue institutionnel, puisque les sourds eux-mêmes ont généré peu de sources écrites qui nous sont parvenues. Lachance étudie la construction de cet espace identitaire que sont devenus les pensionnats au fil des siècles dans le cadre européen et nord-américain. Dans les deux cas, les écoles ont servi au rassemblement des personnes sourdes et ont permis la construction d’une identité forte axée sur les langues signées, même lorsque l’usage de celles-ci était interdit dans les écoles. Une communauté minoritaire porteuse d’une culture a émergé dans ces pensionnats, définissant pour elle-même un territoire et se donnant des mécanismes de transmission à l’intérieur des institutions scolaires. Un phénomène semblable s’est produit au Québec, où le climat particulier de l’éducation confessionnelle lui a donné une couleur distincte. L’auteure n’examine pas l’Institution Mackay qui existait à Montréal pour les sourds protestants, car cela ne correspond pas à son terrain. Cependant, son étude de l’histoire des deux institutions catholiques montréalaises, de leur fondation à leur transformation en institutions gouvernementales durant les années 1960-1970, permet de se faire une excellente idée du caractère identitaire de ces écoles pour les personnes sourdes au Québec. L’auteure observe l’interaction de trois forces principales : celle du religieux, du politique et du groupe sourd lui-même. Elle examine pour ce faire les lieux particuliers où ces trois groupes interagissent autour des institutions, soit les activités parascolaires, sportives et le cercle Saint-François-de-Sales qui regroupe les anciens se réunissant régulièrement à l’Institution des garçons. Lachance analyse les rapports de pouvoir entre ces anciens et les religieux en charge du Cercle et observe le processus d’émancipation progressive des sourds à partir des années 1950 et plus massivement à partir de la disparition des institutions et de leur réseau de soutien après 1970. Son analyse historique se poursuit après la transformation des pensionnats dans la foulée du mouvement de mainstreaming des années 1970 qui a amené l’éventuelle fermeture de l’un et de l’autre et la profonde transformation de ce que le gouvernement appelle « l’offre de services » à la population sourde, passée sous la responsabilité du ministère de la Santé et des Affaires sociales. Ce passage d’un univers éducatif à celui de la réadaptation n’a pas eu seulement un impact administratif. Les sourds ont dû inventer de nouveaux lieux de rassemblement, de nouvelles organisations pour faire valoir leurs revendications auprès des instances gouvernementales et se battre pour ne pas complètement perdre l’accès aux lieux identitaires que les bâtiments des anciennes institutions sont restés pour eux. Plusieurs de ces campagnes de revendication demeurent d’actualité ; Lachance en analyse l’origine avec finesse. La deuxième partie de l’ouvrage porte plus spécifiquement sur la recherche de « terrain …