Comptes rendus

HÉBERT, Karine, Impatient d’être soi-même. Les étudiants montréalais, 1895-1960 (Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Enseignement supérieur », 2008), 290 p.[Record]

  • Louise Bienvenue

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  • Louise Bienvenue
    Département d’histoire, Université de Sherbrooke

Issu des recherches doctorales de l’historienne Karine Hébert, Impatient d’être soi-même retrace le processus de construction de l’identité étudiante dans l’espace sociopolitique québécois et canadien depuis la fin du xixe siècle jusqu’à l’orée des années 1960, en prenant comme poste d’observation deux importants campus montréalais : celui de l’Université de Montréal et celui de l’Université McGill. Après un premier chapitre qui dresse le portrait sociodémographique de la population étudiée et qui fait état du développement diachronique des principales tribunes d’expressions étudiantes (associations et revues), la démonstration s’organise autour d’une trame essentiellement chronologique. L’auteure examine comment le petit groupe de jeunes universitaires de la fin du xixe siècle, se concevant essentiellement comme « l’élite de demain », cède progressivement la place à des cohortes d’étudiants beaucoup plus décidés à s’affirmer comme force sociale cohérente et agissante. Réclamant leur légitimité à prendre part aux débats, non seulement scolaires mais sociopolitiques au sens large, les porte-parole du groupe réussissent partiellement, à la veille des mythiques années 1960 qui porteront la jeunesse à l’avant-scène, à promouvoir le statut étudiant dans l’espace public, bien que des lignes de partage – religieuses, culturelles, linguistiques – en affaiblissent encore la solidité. Les discours d’affirmation des deux communautés étudiantes, de même que les actions qui favorisent leur visibilité sont bien mises en lumière dans l’ouvrage. Consacré au tournant du siècle, le deuxième chapitre montre l’éveil d’un esprit étudiant sur les campus. Cette conscience naissante est toutefois fortement enchâssée dans la rhétorique nationaliste propre aux deux solitudes, tout en étant imprégnée de la culture universitaire de l’Alma Mater de référence : plus libérale à McGill, humaniste et catholique à l’Université de Montréal. Dans les deux institutions universitaires, alors en plein développement, s’exprime pourtant une même volonté de voir les étudiants reconnus comme des membres de la société à part entière : « Students are not puppets but men and women who are capable of thinking for themselves and taking an intelligent part in outside affairs », peut-on lire dans le McGill Daily. Le chapitre qui suit met l’accent sur l’entre-deux-guerres, période qu’une historiographie déjà abondante a identifiée comme un moment fort de tensions intergénérationnelles propice à l’affirmation de la jeunesse comme groupe distinct. Se montrant solidaires de toute une jeunesse aux prises avec les mêmes horizons bouchés par la Grande Dépression et, éventuellement, par le déclenchement de la guerre, les étudiants de l’Université de Montréal, surtout, revendiquent une voix au chapitre en se disant porteurs de solutions pour sortir de l’impasse. Une chronologie différente de l’affirmation générationnelle est toutefois mise en lumière, celle-ci étant plus vive à McGill dans les années 1920, alors qu’elle explose au cours de la décennie suivante sur le campus francophone. Le quatrième et dernier chapitre porte sur les années 1940-1960 qui sont, à plusieurs égards, marquantes dans l’histoire des deux communautés étudiantes. Celles-ci commencent à s’élargir et à se diversifier en faisant, non sans difficulté, une place plus importante aux femmes. À l’Université de Montréal, c’est entre autres autour du concept européen de « jeune travailleur intellectuel » que s’organise le travail de mise en valeur du statut d’étudiant. Dans un contexte de lutte antiduplessiste, qu’avait déjà bien exploré Nicole Neatby, les étudiants de l’Université sur la montagne se montrent alors plus combatifs que leurs confrères de McGill. L’un des grands intérêts de l’étude de Karine Hébert est, bien entendu, ce récit comparé et contrasté des trames de la vie étudiante franco-catholique et anglo-protestante. Ces histoires, en bonne partie parallèles, sont néanmoins ponctuées par quelques moments de rencontre. Pour mettre en évidence les différentes stratégies d’affirmation identitaire auxquelles les deux groupes étudiants …