Comptes rendus

WARREN, Jean-Philippe, Ils voulaient changer le monde. Le militantisme marxiste-léniniste au Québec (Montréal, VLB éditeur, 2007), 252 p.[Record]

  • Martin Petitclerc

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  • Martin Petitclerc
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Jean-Philippe Warren aborde les années marxistes-léninistes (1973-1983) au Québec d’un oeil empathique, malgré les dénonciations et actes de contrition qui constituent, pour l’essentiel, le discours historique sur cette période. Alors que la tendance intellectuelle inciterait plutôt à écrire un de ces « livres noirs » aussi complaisants à l’égard du présent qu’ils sont critiques du passé, Warren a le grand mérite de sortir l’étude des « m.-l. » du placard de notre mémoire pour en dégager des enjeux pour la compréhension de la société québécoise des quarante dernières années. Comme le rappelle l’auteur, « dans sa diversité et son éclatement, l’extrême gauche répondait à sa façon à des questions qui animaient […] l’ensemble de la jeunesse québécoise, qu’elle soit issue des groupes populaires, des partis souverainistes ou des nouveaux courants intellectuels » (p. 17). Comment faire sens, demande Warren, de « l’engagement subjectif » de ces quelques milliers de jeunes intellectuels québécois, pourtant assoiffés de liberté, d’égalité et de justice, dans l’exténuante « servitude volontaire » du dogme stalinien, incarné principalement à cette époque par la Chine de Mao ? La question de départ est fascinante et avait été abordée, quoique d’une façon plus informelle, par Jean-Marc Piotte il y une quinzaine d’années. Cela dit, l’auteur déviera un peu de ce problème de « l’engagement subjectif » pour se consacrer essentiellement, d’une part, à l’histoire organisationnelle du mouvement lui-même et, d’autre part, aux grandes causes qui en expliquent le développement et le déclin. Le premier chapitre tente de comprendre pourquoi les jeunes militants étudiants, nationalistes et socialistes, ont laissé tomber leurs associations participatives et réformistes, fondées dans le contexte revendicateur du milieu des années 1960, pour s’organiser en mouvement bolchevique semi-clandestin à partir de 1972-1973. Le constat d’un blocage de la société québécoise après les échecs successifs de la grève des cégeps, de l’opposition au bill 63 et du coup de force d’octobre 1970 (sans oublier la déception du FRAP et la « trahison » du PQ) pousse de nombreux militants à prendre conscience du manque d’organisation pratique et surtout théorique de la gauche radicale québécoise. Puisque, selon un militant de l’époque, « ce n’est pas la crise qui fait défaut », mais « la pensée juste et l’organisation efficace » (p. 58), il s’ensuivra une course effrénée à l’orthodoxie bolchevique, principalement entre le groupe En lutte ! de Charles Gagnon et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada de Roger Rashi. Une bonne partie du chapitre 2 est donc consacrée à l’évolution de ces deux organisations. On comprend sans peine, au chapitre 3, pourquoi les marxistes-léninistes rejettent toute alliance avec les principaux mouvements contestataires de l’époque, c’est-à-dire les mouvements féministe et nationaliste. En effet, ces mouvements, en accordant la primauté à des « contradictions secondaires » (rapports de sexe et de nation), représentent une déviation « révisionniste » et « bourgeoise » à l’égard de la ligne orthodoxe centrée sur la « contradiction première » que constituent les rapports de classe. C’est par ce qu’on appelait « l’agit-prop », c’est-à-dire les activités d’agitation et de propagande identifiées par Lénine dans Que faire ?, que les militants tentent d’imposer cette ligne d’interprétation aux membres potentiels, de même qu’à la société civile. À cet égard, la course à l’infiltration et au noyautage de la société civile, entre les organisations m.-l. concurrentes, fait d’importants dommages collatéraux dans les rangs des syndicats, des groupes d’animation sociale, des collectifs d’entraide, etc. Les institutions d’enseignement supérieur ne sont pas épargnées non plus. Ce n’est que dans la dernière partie de ce chapitre que l’auteur se consacre plus spécifiquement à l’étude de « l’engagement subjectif » …