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Il faut seulement se rappeler l’acte qui a déclenché la première rébellion de Riel en 1869 pour reconnaître l’importance politique du rôle de l’arpenteur dans un pays dit « neuf ». Or, l’arrivée des arpenteurs venant du Canada représente un moment clé dans la colonisation de la Rivière Rouge par les autorités canadiennes, et Riel l’avait très bien compris. En empêchant les arpenteurs de continuer leur travail, les leaders métis de la Rivière Rouge ont signalé qu’ils avaient l’intention de défendre leur territoire.

Ce livre, abondamment illustré, veut commémorer l’apport des arpenteurs dans le territoire québécois depuis le Régime français. Publié en 2007, l’ouvrage commémore les 125 ans de la Corporation des arpenteurs-géomètres de la province du Québec et les 100 ans de l’École d’arpentage de l’Université Laval. Les auteurs nous fournissent un court texte d’environ 25 pages comme introduction à l’histoire de l’arpentage au Québec. Ils mettent l’accent sur l’histoire institutionnelle des arpenteurs (fondation de l’école d’hydrographie par les Jésuites en 1672, les lieux de formation sous le Régime britannique et depuis la Confédération, et les lois qui gèrent la profession). Ils donnent quelques exemples d’arpenteurs importants en fournissant des biographies brèves des arpenteurs généraux, Samuel Holland et son neveu Joseph Bouchette, et deux arpenteurs Théodore de Pincier et Pascal-Horace Dumais.

Le but premier du livre est de présenter plusieurs beaux exemples de cartes créées par les arpenteurs québécois, et chaque carte est placée dans son contexte historique. Les auteurs ont voulu démontrer l’intérêt esthétique de ces oeuvres, et le livre y réussit très bien. Les auteurs rendent ainsi « un hommage aux multiples talents dont les arpenteurs-géomètres ont fait preuve au cours de notre histoire » (p. 1). Il s’agit d’illustrations fort intéressantes, des cartes et des dessins qui démontrent l’habilité des arpenteurs à décrire une certaine réalité géographique, tout en voulant « respecter et protéger les droits du propriétaire foncier » (p. 21). Dans un exemple rarissime, un arpenteur a dessiné le plan du village de Montmagny pour montrer le lieu du meurtre de Charlotte Todd en 1855.

Dès le Régime français, les arpenteurs jouissent d’un statut officiel. Ils ont du matériel à traiter : il y a tout un territoire nord-américain où ils doivent fixer de nouvelles limites, assez artificielles à vraie dire. Par leur science, reconnue par l’État, les arpenteurs participent à des litiges judiciaires concernant des lignes de propriété.

Les cartes produites par les arpenteurs – et les cartes en général – sont rarement des véhicules de contestation populaire. Elles tendent à respecter l’ordre établi. Néanmoins, certaines propriétés peuvent être réclamées par des entités ou des individus différents, qui peuvent tous revendiquer un statut de propriétaire. Alors, des squatters, des habitants, des seigneurs, des compagnies privées et l’État peuvent avoir des droits très complexes à défendre sur des terrains précis, et les arpenteurs entrent parfois dans ces débats. Les auteurs n’insistent pas sur cette dynamique de contestation, mais cette interprétation émerge néanmoins de la présentation des cartes.

Le choix des illustrations – toujours fort bien fait – émane des « coups de coeur » (p. 1). Or, il s’agit bien des coeurs bien enracinés dans la région de Québec, car la partie sur « le milieu urbain » du livre contient très peu d’exemples montréalais, et aucun exemple trifluvien. La section « le milieu rural » nous offre plusieurs exemples provenant de l’Estrie, où les frontières des cantons ont été déterminées au xixe siècle au moment où leur colonisation a eu lieu. Seulement quelques illustrations traitant de l’« exploration » sont reproduites, et elles sont toutes du nord québécois au xixe siècle. L’absence d’illustrations du Régime français est un peu surprenante ici. Le livre se termine avec quelques cartes démontrant la fixation des frontières du Québec. Toutes les illustrations se trouvent dans les archives à Québec : les archives nationales ou les archives du bureau de l’arpenteur général. Il aurait été intéressant que les références contiennent les dimensions des cartes, car elle sont sûrement d’une très grande variété, et il serait plus facile d’interpréter les cartes.

Le titre est quelque peu trompeur. Les mots « depuis Champlain » indiquent que les exemples seront tirés du Régime français, mais ce n’est pas le cas. Seulement deux pages et quelques reproductions reflètent l’apport des arpenteurs sous le Régime français. La majorité des cartes datent du xixe siècle, et très peu du xxe siècle. Bien que le livre veuille commémorer le centenaire de la fondation de l’école d’arpentage, nous apprenons fort peu des rôles joués par les quelque 2500 diplômés. Les auteurs nous laissent voir que des changements techniques (développement de la géomatique, par exemple) ont eu lieu dans les dernières décennies, mais ils ne nous fournissent aucune carte après 1931. Doit-on conclure que les arpenteurs de nos jours n’ont plus le loisir ou le désir de créer des chef-d’oeuvres cartographiques comme ceux contenus dans cet ouvrage ?

Dès la loi de 1785, les procès-verbaux des arpenteurs doivent être déposés dans les archives de la Cour des plaidoyers communs, et les archives de la Nouvelle-France contiennent aussi des documents similaires. Ce livre nous rappelle l’importance des sources produites par les arpenteurs pour les historiens qui s’intéressent aux questions de propriété foncière.