Comptes rendus

COSGRAVE, James F. et Thomas R. KLASSEN, dir., Casino State. Legalized Gambling in Canada (Toronto, University of Toronto Press, 2009), 268 p.[Record]

  • Serge Granger

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  • Serge Granger
    École de politique appliquée, Université de Sherbrooke

Né avant la loi de décriminalisation du jeu (1969), j’ai de la difficulté à imaginer une société qui criminalise le 6/49. Le livre Casino State nous fait découvrir comment la légalisation du jeu au Canada fut un débat éthique quasi religieux et pourquoi les gouvernements provinciaux ont choisi de rapidement multiplier leurs revenus en optant pour une politique d’accessibilité au jeu. La thèse centrale du livre nous démontre que les gouvernements provinciaux tentent d’offrir un type de consommation à risque sans toutefois contrôler le risque d’une telle consommation. Plusieurs questions importantes et intéressantes sont abordées dans ce livre. Faut-il accepter socialement le jeu ou bien le prohiber comme ce fut le cas avant 1969 ? La légalisation des vices devient-elle une arme administrative visant à combattre la criminalité ou sert-elle plutôt à l’accompagner dans ses activités criminelles ? Comment peut-on concilier une politique de réduction des méfaits envers les joueurs compulsifs tout en assurant un maintien, voire une hausse des revenus de l’État par des taxes indirectes comme le jeu ? Pourquoi les gouvernements provinciaux ont-ils sciemment suivi une politique néolibérale de baisse d’impôts depuis les vingt dernières années tout en multipliant par six les revenus du jeu ? Pourquoi les gouvernements préfèrent-ils suivre une politique d’accessibilité au jeu plutôt que d’élaborer une politique de raréfaction ? Dans quelle mesure les nouvelles technologies limitent-elles le rôle de l’État dans la législation sur le jeu ? Répondre à ces questions s’avère une tâche complexe que les auteurs relèvent avec brio, mais une question demeure : la légalisation du jeu par l’État favorise-t-elle ou non la criminalité ? De 1992 à 2006, les revenus nets du jeu au Canada ont augmenté passant de 2,7 à 13,3 milliards, la plus importante croissance toutes industries confondues. Passant de 11 000 à 40 000 employés, l’industrie du jeu est devenue une source indispensable de revenus en plus de créer des milliers d’emplois. Bien que la légalisation du jeu semble devenue irréversible, les auteurs de Casino State nous présentent en quatre parties les différentes facettes de cette normalisation de ce qui était naguère considéré comme un vice. Dans la partie initiale qui porte sur la moralité, le commerce et l’État, Ramp et Badgley nous expliquent que la culture morale du Canada anglais du début du xxe siècle a façonné la vie sociale et personnelle en définissant les frontières des politiques formelles et informelles qui régissent l’espace social légitime et illégitime du travail et du plaisir. À cette époque, le désir d’établir un capitalisme propre, dénudé de spéculation qui anime les forces chaotiques de la chance, représentait un rempart contre le désordre public. Le jeu fut donc considéré comme une utilisation irrationnelle, voire improductive, du capital. Pour ces auteurs, le mouvement de tempérance (alcool, drogue et jeu) visait à établir un monde où la richesse naturelle ne pouvait être pervertie par la spéculation qui dénature la valeur du travail. Le jeu constituait donc un capitalisme immoral qui laissait place à la déchéance sociale, au même titre que la prostitution, les drogues, l’alcool et la criminalité. Dans le deuxième chapitre de cette première partie, Cosgrave mentionne que le mouvement de tempérance perdit beaucoup de son influence lorsque le jeu devint une pratique sociale acceptée présageant la levée de son interdiction. Cet auteur mentionne que la libéralisation du jeu s’avère un progrès social mais que les gouvernements doivent considérer les formes de régulations qui organisent le comportement des individus en relation avec le jeu. Aucun véritable débat sur la façon de légaliser le jeu n’a finalement permis aux autorités provinciales d’engouffrer des sommes énormes sans réflexion éthique. La …