Débat

Le débat sur les sensibilités historiques au Québec : connaissance historique ou projet politique ?[Record]

  • Charles-Philippe Courtois

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  • Charles-Philippe Courtois
    Département des humanités et des sciences sociales, Collège militaire royal de Saint-Jean

Dans un texte publié dans la section débats de la RHAF de l’été 2009, mon collègue historien Martin Petitclerc s’interroge sur les positions et l’orientation des travaux de la « nouvelle sensibilité historique » dans un plaidoyer pour le renouveau de l’histoire sociale et plus spécifiquement d’une histoire sociale arrimée à un projet « critique ». Ce mot semble être, aux yeux de Petitclerc, synonyme d’une perspective postmoderne ou « radicale », version actualisée de l’idéologie radicale des années 1970 (comme les « Cultural studies » ont ouvert la transition entre les deux). Il défend en effet moins l’histoire sociale « moderniste », qui voit dans une certaine normalité libérale du Québec de jadis un facteur positif, que celle, plus marginale, qui « s’inspirait d’un paradigme critique et puisait dans les traditions marxiste et féministe en insistant sur la primauté des conflits sociaux ». Comment M. Petitclerc définit-il la nouvelle sensibilité historique ? Essentiellement, pour dénombrer ceux qui y appartiennent, à partir de deux ouvrages collectifs : le premier dirigé par Stéphane Kelly, Les idées mènent le Québec puis le second par Lucille Beaudry et Marc Chevrier, Une pensée libérale, critique ou conservatrice ? ; à ces ouvrages, il ajoute les membres du comité de rédaction de Mens et Julien Goyette. Sur le plan des idées, il les rattache, comme d’autres observateurs, au conservatisme (nous y reviendrons). N’ayant participé ni au premier ni au second de ces collectifs, non plus qu’aux colloques qui les avaient préparés, je me dois de préciser que je n’ai pas l’intention de participer à la discussion à laquelle invite le texte de Petitclerc en tant que représentant de ce groupe mal défini. Du reste, nonobstant des liens interpersonnels ainsi que des objets en commun avec certains des contributeurs, je n’inscris pas mes propres travaux dans une telle optique – celle énoncée dans la présentation de S. Kelly dans Les idées mènent le Québec. Kelly définit la démarche du groupe ainsi : un « effort de réinterprétation systématique du passé récent » qui, primo, réaffirme « l’influence des idées, de la politique et de la religion » et secundo, « contre la lecture moderniste [la génération de Fernand Dumont] et révisionniste [celle de Paul-André Linteau] elle prétend que la marche modernisatrice a introduit de sérieux problèmes, aussi graves que ceux qui affectaient la société québécoise il y a cinquante ans ». Je crois bien sûr en l’importance de l’influence des idées, du politique et du religieux en histoire et en histoire du Québec, mais ma démarche n’est pas arrimée de la sorte avec une critique de la société issue de la Révolution tranquille. Il me semble simplement qu’à trop les négliger au profit des « structures » socio-économiques on ferait erreur – et cela ne signifie pas que les facteurs socio-économiques me semblent négligeables. Je crois au contraire qu’il faut étudier les deux. Il peut paraître difficile de trancher si l’on veut déterminer un facteur primordial. Ce serait peut-être une fausse alternative. Malgré mon estime et mon grand intérêt pour les travaux de l’école des Annales, il m’a toujours paru que la célèbre métaphore marine brossée par Fernand Braudel, reléguant le politique aux rang des vaguelettes qui agitent la surface de l’eau, alors que les courants de fond en déterminent le cours sur le long terme comme les structures l’histoire sur la longue durée, ressemblait à un acte de déni devant le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale qui venait de se produire. En tout cas, elle n’offrait aucun moyen de saisir cet événement cardinal ni ses répercussions… sur le long terme. Les structures avaient …

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