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Ce livre n’est ni une plate biographie d’officier ni la relation prévisible d’un acte héroïque. Il traite plutôt de la fabrication et de l’utilisation des héros par une machine de propagande. Certes, la vie de Paul Triquet (1910-1980) est exposée (chapitres un, six et sept – ces deux derniers auraient pu être condensés), de même que l’acte de courage (chapitre deux), mais l’intérêt est ailleurs, dans les trois chapitres de la deuxième partie (« Cross Purposes : Medals, the Media and an Army at War »).

Tout commence les 14 et 15 décembre 1943. Avec d’autres unités, la compagnie du major Triquet (R22eR) mène l’assaut sur Casa Berardi, puis défend la position conquise. Pour l’occasion, Triquet reçoit la Croix Victoria (VC), plus haute décoration du Commonwealth pour valeur en présence de l’ennemi. Mais contrairement à d’autres récipiendaires, il n’a pas été fait prisonnier et il est en santé après avoir récupéré de sa blessure. Il est aussi présentable, car c’est un soldat de carrière simple avec un bon sens du devoir. Il est donc retourné au Canada pour accomplir un nouveau genre de mission.

L’attribution d’une décoration de haut niveau vise bien sûr la motivation au combat, mais c’est également un geste politique. C’est pourquoi les décorations sont accordées sur la base de quotas fixés pour chaque grande unité, après recommandation des supérieurs immédiats. Le processus est compliqué du fait que l’on a voulu la VC plus difficile à obtenir en 1939-1945 qu’en 1914-1918. Plusieurs recommandations sont réduites à l’Ordre du Service distingué (DSO, la Croix militaire (MC), la Médaille militaire (MM), etc. par les commandants d’armée et le War Office à Londres. D’où le fait que Triquet est l’un des premiers Canadiens à obtenir une VC dans la quatrième année d’une guerre qui n’a pas comporté beaucoup de bons moments.

Arrive donc Casa Berardi, petite victoire avec un Canadien français pour héros. Ça tombe bien pour l’armée et le gouvernement, qui l’exhibent devant les Canadiens et plus encore les Québécois afin de mousser l’effort de guerre, c’est-à-dire vendre des obligations de la victoire et inciter les jeunes à se porter volontaires pour la force d’active. Toutefois, le héros n’a pas ce qui fait une vedette. Il est gauche en public. En plus, au fond, il est contre la conscription. Heureusement pour les propagandistes, le tour de cirque médiatique se termine avant l’envoi des conscrits outre-mer en décembre 1944.

On apprend incidemment que Triquet a brièvement interrompu sa carrière militaire en 1931 pour devenir instructeur dans la Police provinciale, poste perdu après une semaine, car l’organisation libérale n’a pas approuvé la nomination. Ce n’était pas un bon catholique et il vivait éloigné de sa femme. On lui a donc fortement suggéré de se raccommoder avec elle. Beaux joueurs, les deux ont montré aux photographes canadiens un couple uni. Ces notations humaines servent bien une critique des services de relations publiques officiels et des médias. Comment aussi ne pas être effaré par la stupidité des journalistes anglophones qui débarquent dans le Cabano familial pour constater l’unilinguisme francophone du Témiscouata ? Qu’importe, à défaut de pouvoir citer longuement – l’on dira que les gens de la place sont laconiques – les reporters inventent. Il brode sur la camaraderie d’armes entre Canadiens français et Canadiens anglais…

Après le tour de piste, le haut commandement refuse d’employer Triquet autrement que dans des affectations administratives, pour laquelle son pauvre anglais oral le handicape. Note intéressante : alors qu’il était sergent-instructeur en 1935, Triquet a entrepris la préparation d’un dictionnaire anglais-français pour aider les recrues francophones à se débrouiller dans la langue des chefs. Un tel dictionnaire sera finalement publié par l’armée de terre en 1945.

La Croix Victoria devient une croix à porter. Certes, Triquet est promu – il finira général de brigade –, mais ce soldat de métier n’a d’intérêt que pour le métier. Il préfère l’anonymat, chose impossible avec le ruban d’une VC accrochée à la poitrine. Est-ce l’unique raison des difficultés personnelles qui suivent ? Il doit démissionner de la force régulière pour alcoolisme et sautes d’humeur inappropriées en 1947 (il reviendra dans la réserve en 1950). Mais l’alcoolisme est courant dans l’armée de l’époque et Triquet arrivera plus tard à se maîtriser. Séparé depuis longtemps, les époux Triquet divorcent en 1969. Il n’a certainement pas été le seul couple à adopter cette solution au moment où l’obtention d’un divorce devient plus facile.

Un livre comme celui-ci a un argument principal simple. Toutefois, le diable est dans les détails qui font la culture du pays en temps de guerre, objet complexe bien rendu par MacFarlane. Sur cette culture, en français, il n’y a que le livre de Jeff Keshen sur « les saints, les salauds et les soldats » (Saints, Salauds et Soldats. Le Canada et la Deuxième Guerre mondiale, Outremont, Athéna éditions, 2009) à aller plus loin. Une traduction s’impose.