Comptes rendus

Grenier, Benoît, Brève histoire du régime seigneurial (Montréal, Boréal, 2012), 246 p.[Record]

  • Sylvie Dépatie

…more information

  • Sylvie Dépatie
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Enfin ! C’est ma première réaction face à la publication de ce livre sur le régime seigneurial canadien de 1627 à 1854. Nous attendions depuis longtemps cette synthèse, en espérant qu’elle contribuera à la remise en cause de l’interprétation proposée, en 1956, par Marcel Trudel, interprétation qui semble indélébile dans les manuels et ouvrages de vulgarisation et, même, dans les cours universitaires (vérifiez auprès des étudiants !) Et ce n’est pas faute de lavages récurrents, sous forme de monographies et d’articles, depuis une quarantaine d’années de Harris (1966) à Grenier (2007), en passant par Dechêne (1971), Greer (1985), Dépatie, Dessureault, Lalancette (1987), Noël (1992), De Blois (1997) et Coates (2000). Il faut avouer que toutes ces remises en question n’ont pas convergé vers une nouvelle interprétation, facilement digestible, comme l’était celle de Trudel : elles sont parfois contradictoires, parfois complémentaires, attirant le regard, ici, vers le rapport foncièrement inégalitaire entre seigneur et censitaire ; là, vers la plasticité de l’institution, quand ce n’est pas pour souligner le caractère essentiellement rentier des seigneurs ou le contraire : leurs investissements dans la mise en valeur des ressources de leurs seigneuries. Seigneurs ecclésiastiques, nobles, roturiers, voire paysans, absents ou résidants... Ce n’est pas le moindre mérite de Benoît Grenier que de naviguer avec aisance entre ces contributions et de leur faire, dans l’ensemble, justice. L‘introduction présente un bilan de cette historiographie, en posant cette question de la pérennité de l’interprétation de Trudel. Même si je crois que l’auteur erre en faisant de Philippe Aubert de Gaspé le principal coupable (et si on regardait du côté des politiciens canadiens-français de la première moitié du XIXe ?), ce bilan est succinct et équilibré. On y présente les deux pôles d’interprétation de la seigneurie au Québec : différente ou semblable à celle de la France ? Utile au peuplement ou institution parasitaire ? Souple ou contraignante ? Pour répondre à ces questions, l’auteur veut éviter le « dogmatisme » de l’historiographie (p. 23). On se demande à quoi il fait référence, en espérant que ce ne soit pas à la rigueur théorique. À la fin de l’introduction, il préconise une « approche humaine » (p. 30). Ici encore, le lecteur est perplexe : y a-t-il une approche inhumaine du sujet ? Ce flottement du point de vue conceptuel se manifeste plus loin dans le livre. Pour l’instant, passons, car il y a beaucoup dans cet ouvrage, dense et complet. Le premier chapitre présente l’origine lointaine de la structure seigneuriale en Europe. Il a l’avantage de montrer l’hétérogénéité de la seigneurie métropolitaine et de distinguer féodalité et seigneurie. Une distinction qui, eut-elle été faite il y a cent ans au Québec, aurait évité le gaspillage d’encre et de papier. Le chapitre se termine sur une question à laquelle on ne peut répondre avec certitude : « pourquoi reproduire une institution que [les autorités françaises] cherchent à affaiblir sur le vieux continent ? » (p. 49) Le second chapitre aborde le fonctionnement du régime : seul mode de tenure au Canada, la seigneurie n’est pas nécessairement destinée à la colonisation agricole ; il existe aussi des seigneuries liées à l’exploitation de la pêche, par exemple. Dans la section « La géographie seigneuriale et le paysage au Québec », Grenier conteste l’idée du « grand ordre » avancée par Trudel, en faisant remarquer que c’est surtout pour les censives que le rectangle allongé est un modèle presque universel. L’écart entre les concessions en seigneurie et l’occupation effective est ensuite souligné, certains facteurs comme les caractères physiques favorables à l’agriculture, la proximité des villes et le dynamisme de certains …