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Professeur de cinéma retraité du cégep Ahuntsic, animateur d’une émission sur le cinéma à Radio centre-ville et rédacteur à la revue Séquences, Pierre Pageau est aussi un grand collectionneur de cartes postales de salles de cinéma. Surtout celles d’avant les années 1960. Voilà qu’au début des années 2000, il décide d’explorer et d’approfondir l’histoire de ces salles à partir de cette collection. Il lui aura fallu quatre années de recherche méthodique, de dépouillement, de lectures et d’entrevues pour produire cet ouvrage qui arrive à point. Car jusqu’ici, on ne disposait d’aucune synthèse complète sur cette question. Le journaliste anglo-canadien Dane Lanken s’était déjà penché sur l’histoire des grands palaces de Montréal (Montreal Movie Palaces : Great Theatres of the Golden Era, 1884-1938 [1993]), tout comme Jocelyne Martineau avant lui « Les palaces du septième art », Continuité) mais aucun ouvrage ni article ne se faisait l’écho de l’histoire des salles régionales, pas plus que pour la période d’après les années 1940. Pierre Pageau complète (enfin !) cette histoire fragmentaire en ratissant l’ensemble des régions du Québec et pour une période couvrant la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 2000. Il s’agit d’un projet certes ambitieux considérant l’immensité du territoire à couvrir et les spécificités régionales.

Pageau a cherché essentiellement à comprendre comment les salles de cinéma ont été et sont toujours des « objets historiques qui s’inscrivent dans l’histoire culturelle québécoise et, en particulier, dans l’histoire régionale du Québec ». Son hypothèse : l’attrait de l’écran chez le spectateur, qui remonte aussi loin qu’aux premiers temps des projectionnistes ambulants jusqu’au récents cinéma-maisons de nos foyers.

La salle de cinéma apparaît ainsi comme un véritable lieu social, synonyme d’une certaine vie culturelle selon l’auteur. Que ce soit au marché public, à l’hôtel de ville ou dans une salle paroissiale transformée pour l’occasion, située toujours au centre-ville, le « lieu de projection » devient très rapidement la courroie de transmission d’une culture urbaine plus moderne ou libérale vers les régions. Lieu de socialisation, au même titre que le parvis de l’église, la salle de cinéma conserve, jusqu’à aujourd’hui, un caractère profondément culturel.

Pageau divise son ouvrage en quinze chapitres représentant chacun une des régions administratives du Québec. La première, Montréal, occupe naturellement la plus grande place dans l’ouvrage, suivie par Québec. L’auteur consacre tout de même une quinzaine de pages en moyenne pour chacune des autres régions de la province (Abitibi-Témiscamingue, Laurentides, Montérégie et autres), ce qui est tout un exploit. Puis, chacun des chapitres est divisé chronologiquement. Les informations qu’on y présente sont bien étayées et l’analyse soignée. Les images, tirées de la collection de cartes postales mentionnée précédemment, sont d’une richesse archivistique impressionnante. Et puisque Pageau y étudie les salles en tant que lieu, il a eu le soin et l’intelligence d’inclure l’architecture à son spectre d’analyse, ce qui en fait une recherche unique et brillante. Il n’oublie pas même la question des salles parallèles ou du cinéma communautaire.

Deux annexes absolument nécessaires complètent l’étude. L’une concerne le cas de l’incendie du Laurier Palace de Montréal en 1927, événement hautement tragique (plus de 200 personnes y ont perdu la vie) et significatif dans l’histoire du cinéma au Québec (l’Église en fait une preuve de plus de l’immoralité du cinéma, désormais meurtrier !). L’autre annexe tourne notre regard vers le phénomène du ciné-parc, qui remonte aux années 1940 et qui emprunte aux célèbres « Drive-Ins » américains. Activité familiale très populaire dans les années 1970 et 1980 au Québec, le ciné-parc contribue également à l’essor de la culture teen. Somme toute, deux compléments très enrichissants.

À la lumière du contenu, on peut clairement dire qu’il s’agit là d’un ouvrage de nature véritablement historienne, bien qu’il ne fut pas écrit pas un historien de formation. La méthode et la rigueur sont de mises. Je disais que Pageau intègre le développement de l’architecture des salles à son analyse. Il intègre également l’histoire des propriétaires de ces salles, puisque ce sont eux qui « insufflent une vie, un dynamisme à ces lieux ». Bien visé. Je déplore toutefois l’absence de notes infrapaginales et de références tout au long de l’ouvrage. Pageau mentionne d’entrée de jeu qu’il a consulté une grande quantité d’ouvrages et d’articles historiques afin de bien camper son objet d’étude dans son contexte historique, mais il est impossible d’identifier ces documents page après page. Choix éditorial ? Peut-être... Mais certainement un mauvais choix pour un ouvrage historique.

Sur la question des salles parallèles aussi, nulle mention n’est faite du Service de Ciné-photographie provincial (1941 à 1961) ni de l’Office du film du Québec (1961 à 1975), deux organismes gouvernementaux de production et de distribution de films assez importants, sinon pour dire, dans la section réservée à Montréal, qu’ils ont été « très présent[s] dans les réseaux scolaire et communautaire [pour] promouvoir le cinéma éducatif (p. 104) ». Or, le SCP et l’OFQ ont eu un rôle non négligeable dans la distribution cinématographique au sein des ministères qui utilisaient ces films dans diverses activités promotionnelles et professionnelles en régions. Pageau a raison de préciser que ces films étaient surtout éducatifs, mais ils étaient aussi d’actualité, scientifiques et touristiques. De plus, si le réseau scolaire était le principal client du SCP et de l’OFQ, ce sont surtout les écoles protestantes qui étaient desservies. Par ailleurs, parmi leurs clients, on comptait les cercles agricoles (agronomes et agriculteurs), les hôpitaux, plusieurs associations professionnelles ainsi que le réseau de prévention des incendies. Il aurait donc été souhaitable d’avoir un peu plus d’information sur ces organismes gouvernementaux méconnus.

Enfin, si l’ouvrage a beaucoup de mérites quant à son contenu et à son originalité, on peut certainement déplorer le choix de son format, qui s’apparente peut-être trop au manuel scolaire. D’autant plus que la couverture (il aurait été souhaitable qu’elle soit rigide pour un tel format) manque cruellement d’esthétisme graphique. Enfin, du côté de l’édition, l’impression en noir et blanc de la riche collection de photographies qui accompagne et complémente le texte déçoit et donne à penser au travail à demi achevé. N’eût été de tout cela, l’ouvrage aurait fait un excellent livre de collection, style table de salon.

Nonobstant ces quelques lacunes de fond et de forme, Les salles de cinéma au Québec contribue véritablement à enrichir l’historiographie du cinéma québécois. C’est tout ce qui importe vraiment.