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Frank Mackey s’est intéressé pendant des années à la présence des Noirs au Québec et à leur absence des publications historiques. Malgré un travail à temps plein au journal The Gazette, Mackey a arpenté plusieurs centres d’archives au Québec, au Canada et aux États-Unis pour y chercher des réponses. Le résultat de ses recherches est publié dans L’esclavage et les Noirs à Montréal, 1760-1840, une sorte de version revue et corrigée par l’auteur et la traductrice de la version originale.

Sans aucune subvention, l’auteur a poussé ce travail, fait à titre personnel et de longue haleine, beaucoup plus loin la compilation de l’historien Marcel Trudel. Il a confronté les différentes sources archivistiques, il a ancré la présence des Noirs à Montréal, de la Conquête britannique jusqu’à l’Acte d’Union de 1840.

L’ouvrage n’est pas une histoire de l’esclavage mais une histoire des Noirs à Montréal « du déroulement de ce moment prolongé où l’esclavage des Noirs a pris de l’ampleur, puis s’est soudain mis à décliner, et de ce qui s’est passé ensuite » (p. 41). Chaque thème abordé est richement accompagné d’expériences vécues par des Noirs. La première partie (1760-1800) débute avec « Quel esclavage ? » par le biais d’une source originale : un procès de la Cour de circuit du district de Saint-Louis au Missouri ! Ce document offre une vue exceptionnelle de la société québécoise et de sa relation à l’esclavage et permet d’aborder la question de son abolition, « Une abolition maison », qui apparaît dès la dernière décennie du XVIIIe siècle.

Dans « Un recomptage perpétuel », l’auteur reconnaît le travail précurseur de Trudel mais considère que son Dictionnaire des esclaves « comporte de telles faiblesses qu’il ne remplit pas son rôle ». Grâce à une laborieuse recherche d’identification, Frank Mackey évalue à moins de 400 le nombre de Noirs à Montréal qui étaient ou avaient été en esclavage entre 1760 et 1800 (p. 181). Cette première partie du livre se termine avec « Ce qui se passait autrefois », où l’esclavage « extraordinairement ordinaire » au Québec (p. 189) est comparé à celui pratiqué sur une plus grande échelle aux États-Unis.

Dans sa deuxième partie (1800-1840), l’auteur poursuit sa quête avec « L’élan » (traduction pauvre de : « Deer out of a Cage ») pour présenter le vide qui attend les esclaves libérés et les difficultés d’adaptation à leurs nouvelles conditions de vie. Dans « Trente-six métiers », ils sont nombreux à occuper des emplois de « barbiers, nettoyeurs de vêtements, serveurs, cuisiniers et cuisinières, employés agricoles […] compétences domestiques qu’ils avaient acquises dans l’esclavage ou que leurs parents esclaves leur avaient transmises… » (p. 302). Dans de rares cas, ils trouvent des emplois dans le commerce des fourrures ou sur les bateaux à vapeur, alors que d’autres tombent dans la délinquance ou, comme dans le cas du docteur William Wright, « le mystère reste entier » (p. 304).

Dans « Aux urnes, citoyens ! », l’enjeu du suffrage est discuté. Bien qu’aucune loi ne leur refuse le droit de voter ou d’occuper un emploi dans la fonction publique, « des règles tacites veillaient à leur disqualification » (p. 351). Toutefois, pendant les années 1820-1830, quelques Noirs votent et presque tous pour le parti tory. Dans « Rendre justice », bien qu’ils ne puissent siéger comme jurés et que certains se voient offrir l’emploi dégradant de bourreau, néanmoins, lorsqu’ils sont accusés, ils sont jugés sur les mêmes bases que les Blancs ; l’auteur n’a trouvé aucune pratique discriminatoire dans les archives judicaires (p. 390).

Dans le chapitre suivant, « Coude à coude », l’auteur aborde les relations de réciprocité et les unions entre Blancs et Noirs. D’abord les liens entre maîtres et apprentis avec l’exemple de John Wright devenu graveur et doreur (p. 435-436) ; des vingt et un mariages mixtes, l’auteur écrit : « L’impression très répandue aujourd’hui selon laquelle le mariage mixte entre Noirs et Blancs était tabou est une idée qui en dit long sur nos propres préjugés … une idée qu’il faut réexaminer. »

Son dernier chapitre s’intitule « Mille personnages en quête d’auteurs » dans lequel il aborde la question de l’identité. Au travers des sources, les Noirs sont identifiés comme « nègre de nation » ; une nation « produit de l’imaginaire des Blancs », alors que les premiers ne rêvent que de s’intégrer : « ils désiraient prouver que si la société dominante voulait bien leur ouvrir la porte, elle verrait qu’aucune différence essentielle ne les distinguait des Blancs » (p. 464) et l’auteur termine son ouvrage en rappelant la difficulté de recenser le nombre de Noirs et de les identifier comme le démontre bien le cas de Mary McArty, alias Marie Saint-Martin, alias Jeanie Martin, alias Janet Summertan (p. 478).

Voilà le premier travail complet sur les Noirs à Montréal, celui qui fera avancer l’histoire des Noirs, celui qui est maintenant la référence pour cette période. L’auteur a parcouru « laborieusement plus d’un siècle de documents variés - sans omettre une page, dans le cas des journaux, des registres de paroisses, cimetières, hôpitaux et prisons, des recensements et des élections … sans omettre un acte dans les archives notariales ni un dossier dans les archives judicaires … » (p. 50). Il a confronté chaque fait rapporté par les auteurs de sources secondaires ; ce qu’il a découvert sur les faussetés, « erreurs grossières » et « distorsions de faits très simples » donne des frissons dans le dos. Maintenant, nul ne pourra écrire sur l’histoire de Montréal sans mentionner l’apport des Noirs. Sans le travail gigantesque de Frank Mackey, les Prince, John, Judith, Charlotte et Rose seraient demeurés absents de l’histoire de Montréal et du Québec.

Un reproche : des noms sont absents de l’index comme Joseph Asselin (p. 403), Marie Louise Rhéaume (p. 533 n65) ; William Doley (p. 589 n72) et plusieurs autres ; de plus, on regrette que l’éditeur francophone n’ait pas cru bon d’insérer les annexes de la version anglaise.