Comptes rendus

Gagnon, Éric, Andrée Fortin, Amélie-Elsa Ferland-Raymond et Annick Mercier, L’invention du bénévolat. Genèse et institution de l’action bénévole au Québec (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2013), 229 p.[Record]

  • Johanne Daigle

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  • Johanne Daigle
    Département des sciences historiques, Université Laval

Ce petit livre reproduisant une toile de corde sur fond sombre (bleu et noir) n’attire guère l’attention. L’oeuvre en couverture, un tissage symbolisant le lien social, fait penser à la vogue du macramé des années 1970. Cette représentation d’un patchwork utilisant des fragments de tissu de formes, couleurs et textures diverses, illustre pourtant bien le sujet aux frontières imprécises. Le titre tranche toutefois, comme s’il y avait contradiction dans les termes, et retient le regard : L’invention du bénévolat. S’agit-il vraiment d’une nouveauté ? Et le sous-titre interpelle l’histoire : Genèse et institution de l’action bénévole au Québec. Vaste, ambitieux, difficile sujet ! Sous ces traits anodins, l’ouvrage est un grand livre de sociologie historique, une oeuvre achevée, un travail de longue haleine, une synthèse des recherches comme il s’en publie rarement. L’ouvrage de la collection « Sociologie contemporaine » dirigée par Daniel Mercure est porté par une équipe chevronnée. Tous sociologues de la région de Québec. Éric Gagnon est chercheur au Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale. Il a produit plusieurs travaux originaux sur les soins, l’éthique, le lien social et les phénomènes d’inégalité et d’exclusion. Andrée Fortin est professeure associée au département de sociologie de l’Université Laval. Elle s’est intéressée aux liens entre la culture, l’espace, l’identité et la postmodernité dans l’histoire du Québec, et en particulier aux sociabilités familiales, aux réseaux sociaux et aux banlieues. Amélie-Elsa Ferland-Raymond et Annick Mercier ont toutes deux produit des mémoires et collaboré de longue date avec les deux premiers auteurs ; Ferland-Raymond sur les questions d’identité et d’éthique reliées au bénévolat dans plusieurs associations québécoises pour les années 1900-1960, et Mercier sur le sens de l’engagement bénévole à travers l’analyse des trajectoires de nombreux bénévoles de la région de Québec. Ce qui est nouveau, de fait, dans l’évolution du bénévolat au Québec, ce ne sont pas les activités bénévoles ou charitables qui existent de longue date, mais l’institutionnalisation, dans la seconde moitié du XXe siècle, d’un secteur d’activités regroupant diverses institutions et pratiques non rémunérées modifiant, dans la foulée, les conditions d’existence, la signification et la place du bénévolat dans la société. Comme l’expliquent les auteurs : « Le bénévolat, comme ensemble spécifique d’activités ou sphère particulière de la vie sociale, et qui se donne des fins communes, reconnu comme tel par des politiques et des discours, doté de ses propres organisations et faisant l’objet de mesures et d’évaluations, est un phénomène relativement récent » (p. 3). L’ouvrage retrace les étapes de cette institutionnalisation. Plus largement, il positionne cette évolution au sein des changements survenus dans la société civile québécoise entre les liens familiaux et sociaux, l’essor du salariat et la professionnalisation de nombreuses sphères d’activités, l’individualisation des pratiques et des identités sexuées, l’attention accordée à la subjectivité individuelle. Ainsi, « […] le bénévolat est une action typiquement moderne en ce sens qu’il est traversé par une forte rationalisation de ses actions, liée à l’institutionnalisation, mais aussi parce qu’il laisse une large part à la subjectivité de ceux et celles qui s’y engagent » (p. 4). Ces postulats sont étayés sur sept chapitres : les quatre premiers retraçant La genèse du bénévolat et les trois suivants, Le domaine du bénévolat. Cette première partie historique qui occupe pratiquement la moitié du livre (plus d’une centaine de pages) et remonte le temps jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle s’attarde aux « associations charitables et bienveillantes » (chapitre 1), en situant « les oeuvres, entre l’Église et l’État » (chapitre 2), et « les bénévoles, entre sphère publique et sphère domestique » …