Dossier thématique

Un chantier à réinvestir ou à réinventer…Histoire contemporaine du Québec et sources orales[Record]

  • Catherine Foisy and
  • Steven High

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  • Catherine Foisy
    Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal

  • Steven High
    Département d’histoire, Université Concordia

Comme espace francophone à la jonction des mondes européen et nord-américain, profondément marqué par l’hybridité culturelle, notamment dans sa rencontre avec le monde anglo-saxon et avec les peuples autochtones, le Québec présente un fort potentiel du point de vue de l’une des pratiques historiennes qui s’est imposée dans le dernier tiers du XXe siècle : l’histoire orale. Cependant, l’emploi de sources orales dans les travaux des chercheurs québécois qui n’appartiennent pas aux sciences anthropologiques et aux études de folklore reste encore marginal. Des travaux ambitieux ont permis de rendre compte de l’histoire de groupes négligés et marginaux, notamment les femmes et les immigrants, dans l’histoire nationale à partir des sources orales. Il semble toutefois admis que le champ universitaire québécois en soit resté à la cueillette de la parole des « anciens », ce qu’a d’ailleurs récemment confirmé l’étude détaillée du concours populaire « Mémoire d’une époque », lancé et piloté par Fernand Dumont et son équipe de l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC) entre 1980 et 1987 dans une perspective de construction nationale revendiquée. Même si une réflexion embryonnaire sur les sources orales s’était amorcée au courant de la décennie 1970, force est de constater que les chercheurs du Québec n’ont pas produit une réflexion approfondie et systématique des enjeux soulevés, pour l’étude du passé, par cette pratique. Alors que l’utilisation des sources orales s’est maintenue et développée dans le monde anglo-saxon jusqu’à aujourd’hui sous le vocable d’une histoire orale (oral history), elle n’a jamais réussi à s’imposer dans le monde universitaire francophone en général sous la même forme, étant très souvent désignée sous des épithètes telles que sources orales ou archives orales, lesquelles, comme le notait Luisa Passerini dans sa contribution à un ouvrage sur l’Institut d’histoire du temps présent, neutraliseraient la charge militante de l’histoire orale. D’ailleurs, cette notion d’Histoire du temps présent nous semble stimulante du point de vue des rapprochements possibles entre les pratiques et les réflexions méthodologiques et épistémologiques produites de part et d’autre des espaces universitaires anglo-saxon et francophone. Douze ans après la fondation de cet Institut en 1980 par François Bédarida, Robert Frank décrivait l’un des plus grands défis auxquels faisaient face les historiens du temps présent que sont, forcément, les historiens oraux et ceux qui produisent ou travaillent à partir de sources orales : Même si très peu d’études historiques se sont penchées sur un aspect de la réalité québécoise à partir de l’histoire orale au cours des trente dernières années, des travaux très récents réalisés au Québec tendent à montrer une tendance au croisement de l’oral et de l’écrit, les premières sources souvent utilisées en complément à des sources écrites lacunaires pour traiter d’enjeux historiques du temps présent. De nombreux travaux ont démontré que la pratique de l’histoire orale peut se révéler fructueuse pour ouvrir de nouveaux horizons dans notre compréhension des grandes transformations historiques. Elle permet, comme le montrent Paula Hamilton et Linda Shopes, de questionner la construction sociale du bien public, par exemple à travers des études sur ce que Pierre Nora nomme les « lieux de mémoire ». Plus généralement, elle favorise la déconstruction des grands récits nationaux en interrogeant la parole des négligés de l’histoire (dont les ouvriers, les femmes, les immigrants, les minorités LGBT). Pour y arriver, tout chercheur doit cependant opérer un changement de pratique et de positionnement important : passer de la cueillette d’informations classique à un processus interactif basé sur la rencontre des subjectivités. La réflexivité qui est mise à l’honneur demeure largement tributaire de la conscience que les intervieweurs et interviewés ont de leurs propres représentations, …

Appendices