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Cet ouvrage présente les éléments centraux de la pensée de Pierre Gravel, homme d’Église et nationaliste décédé en 1977. À travers une interprétation et une analyse du discours de cet abbé, Alexandre Dumas propose un nouveau regard sur la droite nationaliste québécoise de l’entre-deux-guerres. Il s’agit de la première étude universitaire portant sur le controversé personnage. À ce jour, celui-ci n’apparaissait que de manière anecdotique dans l’historiographie québécoise, mis à part dans l’oeuvre de Robert Rumilly. Ce livre est une adaptation du mémoire de maîtrise en études québécoises de l’auteur. Ce travail de recherche lui a valu le prix du meilleur mémoire de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) en 2013.

Du point de vue méthodologique et chronologique, l’ouvrage se concentre avant tout sur la pensée et les discours de Pierre Gravel dans les décennies 1930 et 1940. Le corpus principal de sources est composé des cahiers de notes des conférences de l’abbé, ainsi que des comptes rendus de celles-ci publiées dans les journaux et, plus particulièrement, dans les colonnes des publications suivantes : L’Événement, Le Soleil et L’Action catholique. La monographie se divise en trois chapitres.

L’étude cherche à démontrer que le discours de Pierre Gravel, qui paraît a priori contradictoire, constitue un tout cohérent. Selon Dumas, Gravel formule à la fois une pensée traditionaliste et révolutionnaire. L’auteur souligne que cette contradiction se pose en apparence à plusieurs niveaux. Par exemple, comment peut-on être syndicaliste et partisan de l’Union nationale ? Est-il possible d’être syndicaliste et de sympathiser avec le fascisme et les dictateurs qui le personnifient ? Cette cohérence tiendrait au fait que le prêtre ne dissocie jamais ses idées nationales de ses idées sociales lors de ses conférences. Dumas souligne que : « [l]oin de se contredire, son discours lui semble au contraire parfaitement cohérent » (p. 11). À preuve, le succès et la popularité de ses prestations publiques seraient les garants de cette harmonie idéologique. D’après l’auteur, un tel exercice permet non seulement d’en apprendre davantage sur le personnage, mais aussi de porter un nouvel éclairage sur la droite nationaliste canadienne-française de la période. Bien que Gravel soit fortement inspiré par Lionel Groulx, Dumas nous met en garde à l’effet de réduire ce dernier à un simple clone du chanoine. Il a plus spécifiquement pour objectif de se tenir à distance « des procès et des chasses aux sorcières » (p. 12), ainsi que des amalgames et raccourcis trop présents, selon lui, dans l’historiographie québécoise au sujet du contexte intellectuel canadien-français de l’époque. Finalement, pour Dumas, on ne peut réduire la pensée de Lionel Groulx et compagnie à une simple adaptation des thèses de Maurras et de l’extrême droite française.

Le premier chapitre est une biographie du personnage. On y retrace la jeunesse de Gravel, ses activités syndicales dans la région de Thetford Mine, son opposition à Taschereau et ses années comme curé de Saint-Roch et ensuite de Boischatel. Le deuxième chapitre expose son discours national. Il sert à identifier et à décrire les maîtres à penser de Gravel (H. Bourassa, C. Maurras, L. Groulx, L. Veuillot et L.-A. Paquet). Par la suite, sont analysés les trois principaux axes de son discours national (l’antilibéralisme, le nationalisme et l’antisémitisme) et sont aussi étudiés ses principaux modèles de référence (Salazar, Franco, Pétain, Mussolini et Hitler). Le chapitre se conclut sur une discussion à savoir si Gravel est fasciste et en quoi il se distingue de Lionel Groulx. Finalement, le chapitre trois aborde les principaux éléments du discours social du personnage. Tout d’abord sont abordées sa conception du syndicalisme et ses pratiques syndicales sur le terrain. Ensuite, sont exposées sa conception du corporatisme et sa vision de l’organisation économique de la société québécoise.

Le principal mérite de ce livre est de nous faire découvrir plus en profondeur la pensée et le discours d’un personnage qui a marqué certains milieux populaires de l’entre-deux-guerres. Cependant, il ne nous apprend pas beaucoup de nouveaux éléments sur la droite nationaliste canadienne-française de la période. Par contre, à notre connaissance, il n’y avait pas à ce jour d’étude présentant un appui d’extrême droite au syndicalisme dans l’historiographie québécoise, ce qui procure une dose d’originalité à l’ouvrage. Le principal défaut de cette recherche est que la thèse de Dumas est basée sur une supposée contradiction entre différents éléments de la pensée et du discours de Gravel qui n’en est pas une, ni en apparence ni dans les faits. L’histoire de l’extrême droite et du fascisme en Europe est assez riche à cet effet. Il n’y a pas non plus de dichotomie entre les questions nationale et sociale au sein de ces courants idéologiques. Autre aspect discutable, bien qu’il soit louable en tant qu’historien de se tenir loin des procès d’intention et des « chasses aux sorcières », la sous-évaluation de l’antisémitisme de Gravel et de ses sympathies fascistes sous prétexte que c’était dans l’air du temps ou encore qu’il n’était qu’une victime de la propagande fasciste (p. 163-166 et p. 279-280). Par moment, on a parfois l’impression que Dumas ne cherche pas à nuancer ce qu’on a dit du personnage de Gravel ou de la droite nationaliste de la période, mais plutôt de relativiser une pensée réactionnaire et antisémite omniprésente chez l’abbé et d’autres intellectuels de droite de l’époque.