Paru d’abord en anglais en 2009 sous le titre Remembering and Forgetting in Acadie : A Historian’s Journey through Public Memory, cet ouvrage explore la question des enjeux de la mémoire collective à travers une étude de cas centrée sur les diverses activités – cérémonies publiques, érection de monuments, mise en scène de productions théâtrales, reconstructions historiques, montage d’expositions muséales, processions intimes – ayant commémoré, en 2004 et 2005, deux événements de l’histoire acadienne : le 400e de l’arrivée de Dugua à l’Île Sainte-Croix et le 250e de la Déportation des Acadiens. S’il s’agit de deux anniversaires acadiens, l’ouvrage ne traite pas exclusivement des Acadiens : les Premières Nations et les anglophones habitant les régions où se sont déroulées les commémorations (sud-ouest du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse) font aussi partie de l’analyse. La prise en compte des perspectives mémorielles de différentes communautés est une force indéniable de l’ouvrage qui représente l’étude la plus achevée sur les commémorations en Acadie. Le livre ne représente d’ailleurs qu’un volet d’un projet plus vaste de documentation, d’étude et de discussion de ce cycle commémoratif. En parallèle, un film documentaire a été tourné (Life After Île Ste-Croix, ONF, 2006) et un site a été créé (http://rememberingacadie.concordia.ca). Ces « deux suppléments » peuvent « aider le lecteur à suivre le voyage dans le temps que je leur propose » (p. 13), soutient Rudin. Cette recension, toutefois, ne traitera pas de ces suppléments. Cet ouvrage s’inscrit dans le vaste champ historiographique de l’histoire de la mémoire qui ne semble pas s’essouffler depuis les années 1980, période marquée par une « prolifération commémorative » (p. 21). L’auteur avait d’ailleurs publié en 2004 un ouvrage relié à cette thématique, soit Founding Fathers : Champlain and Laval in the Streets of Québec, 1878-1908 (University of Toronto Press). La dialectique du souvenir et de l’oubli est au coeur de la mémoire collective en Acadie comme ailleurs. Cette dialectique vient du fait que les représentations qu’une collectivité se fait de son passé sont inséparables de son présent. La mémoire s’alimente autant du présent que du passé. C’est parce qu’elle s’imbrique dans un présent qu’elle détient une historicité, qu’elle relève d’une histoire. Ancrée dans le présent et tournée vers l’avenir, la mémoire n’est jamais innocente : elle est un enjeu culturel, identitaire, social et politique fortement débattu. Dans cette perspective, Rudin a cherché à comprendre, à travers le cycle commémoratif de 2004-2005 en Acadie, pourquoi certains aspects du passé sont évoqués, alors que d’autres tombent dans l’oubli. Le livre se divise en deux parties. La première traite des commémorations marquant l’arrivée des premiers colonisateurs français à l’Île Sainte-Croix (1604) et à Port-Royal (1605). Elle comporte quatre chapitres. Le premier prend la forme d’une rétrospective des commémorations (1904-1954-1955, 1979) dont ont été l’objet ces deux événements. Ces commémorations étaient au départ largement le fait des anglophones qui habitaient les secteurs avoisinants les lieux de mémoire, mais les Acadiens – conditionnés à ne pas trop faire de bruit pour maintenir l’esprit de bonne entente avec les anglophones – commencèrent à s’y investir dans la seconde moitié du XXe siècle lorsqu’ils « eurent acquis suffisamment de confiance en eux-mêmes et d’influence pour se manifester publiquement » (p. 108). Les trois autres chapitres abordent les commémorations tenues en 2004-2005 à partir des perspectives de trois groupes, à savoir les Acadiens, les anglophones, qui sont maintenant les « gardiens » (p. 171) des lieux commémorés, et les Premières Nations des régions – les Passamaquoddys du sud-ouest du Nouveau-Brunswick pour l’Île Sainte-Croix et les Micmacs de Bear River en ce …
Rudin, Ronald, L’Acadie entre le souvenir et l’oubli. Un historien sur les chemins de la mémoire collective, traduit de l’anglais (Canada) par Daniel Poliquin (Montréal, Boréal, 2014), 445 p.[Record]
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Patrick Michel Noël
Faculté des arts et Faculté des sciences, Université de Saint-Boniface