Comptes rendus

Couvrette, Sébastien, Le récit de la classe moyenne. La publicité des quotidiens montréalais 1920-1970 (Montréal, Leméac, 2014), 254 p.[Record]

  • Laurie Laplanche

…more information

  • Laurie Laplanche
    Département d’information et de communication, Université Laval

Récits d’identités sexuelles et d’appartenances sociales, les publicités des grands quotidiens montréalais entre 1920 et 1970 ont formé des discours normatifs de rapports sociaux de sexe et de classe. Tel est le constat de Sébastien Couvrette qui propose une analyse minutieuse de l’évolution des configurations des relations de pouvoir mises en scène dans les publicités de trois quotidiens d’information : deux francophones, La Presse et Le Devoir, et un anglophone, le Montreal Daily Star. En évitant les raccourcis épistémologiques qui définiraient la publicité simplement comme un miroir de la société, l’auteur démontre comment les réclames de la presse imprimée ont participé à la construction sociale de représentations idéalisées et stéréotypées de la classe moyenne au Québec au XXe siècle. À cette fin, l’historien définit dans son premier chapitre sa conception de la formation d’une nouvelle classe moyenne issue de l’industrialisation et dont le statut social était principalement caractérisé dans la sphère publique par son pouvoir d’achat. Liés à la consommation et créés par des hommes du même statut social, les récits publicitaires ont cherché à affirmer l’identité d’une classe moyenne qui empruntait les codes de la bourgeoisie et cherchait à se distinguer des classes populaires. Sébastien Couvrette remet également en contexte dans son premier chapitre l’émergence des agences de presse, le perfectionnement des stratégies publicitaires au Québec ainsi que l’évolution des relations entre les différents types d’annonceurs et la presse francophone et anglophone. Il y expose comment le fond et la forme des contenus rédactionnels se sont transformés sous la pression grandissante du financement publicitaire et son besoin d’accroître le lectorat. Ce processus a donné lieu à une spécialisation genrée de l’espace, avec l’apparition des pages féminines et des pages sportives proposant des publicités adressées respectivement aux femmes et aux hommes. Les rapports de pouvoir genrés et de classe sont approfondis dans les deuxième et troisième chapitres consacrés à la catégorisation, l’opposition et la hiérarchisation de la féminité et de la masculinité dans les récits publicitaires. Ces chapitres expliquent comment les discours sur les identités féminines et masculines dans les publicités ont évolué selon les périodes que ce soit en temps de guerre ou d’après-guerre, de prospérité ou de crise économique ou sous les pressions des mouvements féministes dans les années 1960-1970. La publicité a néanmoins généré certains discours dominants qui ont transcendé les décennies et dans lesquels l’identité féminine s’exprimait surtout au sein de l’espace domestique alors que l’identité masculine se manifestait principalement dans l’espace public. Les récits publicitaires ont ainsi contribué à normaliser l’idéal de la mère au foyer assujettie à son mari ou soumise à l’expertise masculine en général dans la réalisation des tâches de la vie quotidienne. Cette image a été construite sur des trames narratives qui ont mis l’accent sur l’association des femmes à l’intimité et à la beauté, modèles qui préconisaient la passivité et un décorum marqué par des interdits et des tabous sociaux. Selon l’auteur, les images des femmes célibataires séductrices et des travailleuses salariées ont représenté la part congrue de ces récits puisque ces temps de la vie des femmes étaient perçus par les publicitaires comme des étapes transitoires menant à leur ultime rôle social de mères et épouses. La masculinité, fortement liée dans les publicités à la démocratisation de la consommation, s’est quant à elle définie par opposition à la fois à la féminité et aux notions de la virilité (courage et force physique) associées aux classes ouvrières. Les hommes de la classe moyenne travaillant principalement dans des bureaux, la tenue vestimentaire comme marqueur identitaire est devenue l’argument de vente privilégié par les publicitaires. Ces derniers ont cependant récupéré …