Article body
La commémoration du traité de Paris, qui marque en 1763 la fin de l’aventure de la Nouvelle-France, a donné lieu à la publication de nombreux travaux de qualité. Parmi ces derniers, on peut relever ceux de Laurent Veyssière et Bertrand Fonk (dir.), La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France (Septentrion, 2012), de Jacques Mathieu et Sophie Imbeault, La guerre des Canadiens, 1756-1763 (Septentrion, 2013) et de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière, 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique (Septentrion, 2013). Avec son ouvrage Louis XV et le Canada, 1743-1763, qui fait suite à son précédent livre consacré à la politique de Louis XIV, Louis Gagnon poursuit sa tentative de mieux comprendre les relations complexes entre la France et sa vaste colonie des Amériques. Il considère que la Nouvelle-France fait partie du domaine royal depuis la dissolution de la Compagnie des Indes occidentales en 1674 (p. 28). Rattacher ainsi la colonie au domaine royal, qui est par nature inaliénable selon un principe constitutif des lois fondamentales du Royaume, équivalentes à une constitution coutumière, a des conséquences très concrètes. En effet, cette colonie ne pouvait alors être cédée et le traité de Paris constituerait de ce fait un acte inconstitutionnel. Ce point est hautement contestable alors que reconnaître un caractère inaliénable aux colonies reviendrait à entériner un statu quo territorial, impossible à tenir dans la pratique. En tout état de cause, au cours des deux décennies précédant la signature du traité de Paris, plusieurs conceptions, présentées par Louis Gagnon, s’affrontent quant à la place à accorder à la Nouvelle-France.
Certains conseillers de Louis XV considèrent que la faiblesse récurrente de la marine royale et l’éloignement de cette colonie en rendent, de toute façon, la défense aléatoire. Dans le même temps, la crainte persistante d’un dépeuplement du royaume amène également à redouter une éventuelle expansion démographique de la Nouvelle-France au détriment de la métropole.
D’autres voix soulignent pourtant la nécessité de renforcer cette colonie, fréquemment présentée comme un ultime rempart à l’encontre de l’expansionnisme britannique. À cet égard, la prise de Louisbourg, par les colons de Nouvelle-Angleterre, en 1745, constitue un avertissement sérieux. Malgré la rétrocession, quatre ans plus tard, de cette forteresse que Louis Gagnon qualifie de « pièce maîtresse de l’empire français tout entier », car « au carrefour des routes maritimes et commerçantes » (p. 56), la France a conscience de sa vulnérabilité. Celle-ci est notamment due à la pression démographique des colonies anglaises et à la faiblesse numérique corrélative des colons de la Nouvelle-France. Pour les pallier, la puissance coloniale française a, très tôt, développé d’intenses relations avec les populations autochtones. Ce degré de proximité varie selon les nations amérindiennes concernées. Ainsi, dans son Mémoire sur les colonies de la France dans l’Amérique septentrionale, datant de 1750, le marquis de La Galissonière, gouverneur général de la Nouvelle-France, soutient que les Abénaquis peuvent être regardés comme sujets du Roi de France. Par contre, il souligne qu’il n’en va pas de même des Mohawks (p. 71-72). En effet, ces derniers auraient « réclamé publiquement leur indépendance et en ont joui constamment sans que les Anglais aient osé ni osent les contredire en Amérique » (cité à la p. 81).
Pour La Galissonière, c’est précisément cette situation qui permet de donner l’avantage aux Canadiens. En effet, il relève le grand nombre de ces derniers « accoutumés à vivre dans les bois comme les Sauvages, et qui par là sont non seulement propres à les conduire à la guerre contre les Anglais, mais à faire la guerre à ces mêmes Sauvages lorsque la nécessité y oblige » (cité à la p. 89). En définitive, selon lui, la défense des colonies françaises reposerait tout entière sur ces alliances et serait soumise aux « liaisons des Canadiens avec les Sauvages » (p. 104). Louis Gagnon en profite alors pour critiquer l’attitude de Montcalm et dénoncer la tendance de ce dernier à regarder les Amérindiens « comme de simples auxiliaires et non comme des associés dans cette guerre américaine ». Après la défaite française, les Autochtones perdront définitivement ce rôle d’arbitres entre les puissances rivales européennes. C’est ainsi qu’ils se verront progressivement ravaler à un rang subalterne avant de connaître un statut particulièrement discriminatoire. On est alors loin de la réflexion de Voltaire, selon qui, « si la philosophie et la justice se mêlaient des querelles des hommes, elles leur feraient voir que les Français et les Anglais se disputaient un pays sur lequel ils n’avaient aucun droit, mais ces premiers principes n’entrent pas dans les affaires du monde » (cité à la p. 66).
En définitive, l’ouvrage de Louis Gagnon constitue une belle entreprise de vulgarisation à l’égard de cette période aussi troublée que décisive. On regrettera seulement quelques rares coquilles et inexactitudes (par exemple concernant l’Abbaye de Fontevraud à la p. 25).