Comptes rendus

Gilbert, Dale, Vivre en quartier populaire. Saint-Sauveur, 1930-1980 (Québec, Septentrion, 2015), 334 p.[Record]

  • Gilles Lauzon

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  • Gilles Lauzon
    Historien indépendant

L’ouvrage de Dale Gilbert porte sur la vie de quartier et sur la culture urbaine, en milieu populaire québécois, avant et après la transition vers une modernité nouvelle, les années 1950 constituant une décennie charnière. Une thèse de doctorat a précédé le livre, l’histoire orale étant au coeur de la démarche de recherche. Trente entrevues ont été menées auprès de personnes ayant vécu longtemps dans Saint-Sauveur. Le premier chapitre porte sur le corpus des personnes rencontrées ainsi que sur l’histoire, la démographie et la géographie de Saint-Sauveur et de ses paroisses. La source principale et le champ de recherche sont ainsi bien campés. De nombreuses sources d’archives ont également été mises à contribution, incluant les photographies anciennes dont près de soixante-dix illustrent le livre. Cinq « champs de pratiques du quartier » ont été abordés au cours des entrevues − habiter, travailler, consommer, se divertir et s’entraider − tandis que les thèmes retenus pour les quatre grands chapitres thématiques du livre (outre le chapitre de présentation déjà mentionné) abordent ces mêmes réalités sous les angles plus spécifiques de la vie de quartier et de la culture urbaine. Ce sont [chapitre 2] les trajectoires résidentielles, [3] la consommation, les loisirs et la vie associative vus à travers les déplacements à pied puis en voiture, [4] les sociabilités, à commencer par les relations familiales, et [5] la paroisse en tant que milieu privilégié de sociabilité et cadre identitaire. En clair, pour de nombreux anciens de Saint-Sauveur, le quartier vécu coïncidait d’abord et avant tout avec la paroisse. Chaque chapitre couvre les deux grands temps couverts par l’étude. L’auteur met au jour une vie urbaine ouvrière − je risque l’expression − observable au cours des années 1930 et 1940 et, jusqu’à un certain point, pendant les années 1950. Les lieux de cette vie urbaine étaient multiples, à commencer par les cuisines où l’on recevait surtout les membres de la proche parenté habitant à proximité, en passant par les galeries et leurs cordes à linge, les pas de porte, les perrons et balcons, les trottoirs, les commerces, services et lieux de loisir de son coin et du centre de la paroisse, et encore les trottoirs vers d’autres milieux fréquentés à pied. Il faut vraiment lire l’ouvrage pour découvrir toute la richesse et la densité de cette vie urbaine, vue de l’intérieur. Les notions de proximité, de sociabilité − au pluriel comme au singulier −, et d’interconnaissance sont des maîtres-mots de la réalité observée et conceptualisée. Au cours des années 1960 et 1970, alors que le milieu connaissait diverses transformations dont certaines liées aux opérations de rénovation urbaine, le quartier administratif prenait de l’importance. De nouvelles formes d’entraide collective y apparaissaient même grâce aux comités de citoyens, bien que la vision de quartier défavorisé qu’ils véhiculaient s’avérait peu attractive pour plusieurs. Entretemps, la vie urbaine ouvrière antérieure s’étiolait. Les très denses sociabilités de proximité que l’on connaissait avant l’automobile, le téléphone et la télévision, avant le développement des nouvelles banlieues et la désindustrialisation, avant le nécessaire filet social étatique, avant l’affaiblissement des réseaux familiaux, des pratiques religieuses et de l’encadrement paroissial, les sociabilités de proximité, donc, s’affaiblissaient jusqu’à un changement qualitatif profond. Les sources orales comme les autres laissent bien sûr place à l’interprétation, en particulier en matière de conditions socio-économiques. À partir des entrevues et des statistiques disponibles, l’auteur affirme qu’au cours des années 1930 et 1940 « [L]e quartier est essentiellement peuplé de ménages de statuts modestes […] avec tout de même une frange plus aisée […]. » (p. 160). Au cours des années 1960 et 1970, « Saint-Sauveur demeure […] un …