Article body

Issu d’un colloque tenu en 2012 sur l’histoire des pratiques de santé du XVIIIe au XXIe siècle, cet ouvrage collectif comprend les textes des responsables Alexandre Klein et Séverine Parayre de même que ceux de Didier Nourrisson, François Guérard, Claire Garnier et Denise Bernuzzi de Sant’Anna. S’y grefferont par la suite les chapitres de Denyse Baillargeon, Claire Marchand, Marie-Claude Thifault et Xavier Riondet. Ces chercheurs, formés en histoire ou en éducation, sont rattachés à des institutions universitaires canadiennes ou françaises. Composé de douze chapitres (introduction comprise) et divisé en quatre sections, cet ouvrage comprend des textes qui abordent chacun un aspect de l’histoire de la santé dans les pays francophones et francophiles. L’introduction et le premier chapitre, écrits respectivement par Alexandre Klein et Séverine Parayre et par François Guérard, brossent le portrait de l’historiographie française (intro) et québécoise (ouverture) sur la santé. Alors que Klein et Parayre présentent cette histoire francophone globale et inclusive de la santé, Guérard nous offre une synthèse de la recherche en santé au et sur le Québec depuis le tournant du XXIe siècle.

L’ouvrage est ensuite divisé en quatre parties. La première porte sur les institutions, les soins et la prévention. Garnier enquête dans les archives françaises et québécoises du XVIIe siècle pour y trouver des traces de soins du corps. Face à la peste, à la gale, à la petite vérole ou encore à la syphilis, le personnel hospitalier met en place des habitudes sanitaires du corps (le laver et l’alimenter). Elle soutient que le corps est à la fois un objet sanitaire et un objet de contrôle social et moral des populations indigentes. Dans le chapitre suivant, Parayre, à partir de 2083 mémoires d’instituteurs français du XIXe siècle, fait ressortir les préoccupations de ces derniers à propos de la santé de leurs élèves. Avec des analyses qualitatives et quantitatives, elle divise en trois grands groupes les intérêts de santé de l’époque, soit l’éducation physique et corporelle (nourriture, sport, posture), l’éducation à la santé (teigne, gale, myopie) et les déterminants politiques et socioéconomiques de la santé selon les diverses régions en France. Enfin, Riondet nous parle d’une institutrice française particulière, Élise Freinet. Cette institutrice, qui a fait l’expérience de la maladie (tuberculose), développe avec son mari et d’autres une manière particulière de concevoir les soins de santé. Convertie au naturalisme, Freinet expérimente ces savoirs « ordinaires » sur les élèves. Riondet, par ce texte, nous convie à une anarchéologie du champ médical en analysant les stratégies de résistance d’une femme face aux dispositifs de savoir et pouvoir.

La deuxième partie s’intéresse à la parole des malades. Sur le marché des soins de santé « éclectiques » du XVIIIe siècle, Klein s’intéresse aux traces écrites par les patients dans la correspondance du docteur Tissot. Il maintient que ces auteurs/malades sont des agents médicaux importants, à la fois à l’origine et à la manoeuvre de la relation de soin. Thifault, avec l’analyse d’un cas unique, nous fait découvrir le parcours de vie d’une patiente internée en institution psychiatrique à Montréal dans la première moitié du XXe siècle. En interrogeant ses écrits personnels (que l’on retrouve dans le dossier clinique), elle met en mots les sentiments d’inquiétude, de peur et de désarroi de la patiente autant que de ses parents face à l’épilepsie de leur fille, Marguerite-Marie. La troisième partie interroge, elle, le point de vue des médecins et comprend des textes de Klein et de Marchand. Klein analyse ici l’un des ouvrages importants du docteur Tissot. Selon lui, Avis au peuple sur sa santé est une oeuvre sociopolitique révolutionnaire en réponse à la dépopulation. Tissot en appelle à une solidarisation de la population pour contrer les effets dévastateurs de maladies et autres éléments touchants la santé. Marchand, pour sa part, passe en revue la vie de Marcel Labbé, spécialiste du diabète en France au XXe siècle et promoteur de l’alimentation « rationnelle ».

Enfin, la dernière partie comprend des textes sur les médias et les médiations. Nourrisson nous invite à voir diverses publicités françaises du XIXe et du XXe siècles sur les problèmes de santé et leurs traitements. Utilisant la séduction et la persuasion, les entreprises développent des procédés de marketing allant de la promesse de vie éternelle, en passant par l’exercice physique et le tabac guérisseur de migraine. Une autre enquête sur les publicités, portant cette fois sur l’aspirine, est conduite par Denyse Baillargeon. Après avoir dépouillé la quasi-totalité des publicités sur ce médicament dans les revues québécoises entre 1920 et 1970, elle dégage trois grandes périodes. Il y a d’abord la lutte contre les génériques, viennent les mérites de l’aspirine comme antidouleur par excellence et enfin la promotion de la rapidité d’action des comprimés. Au-delà de ces thèmes, Baillargeon dégage de cette analyse une pièce du puzzle de la médicalisation du social. Enfin, le dernier texte est signé par Sant’Anna. Cette recherche nous mène sur un terrain différent : les perceptions du corps obèse, mince ou fort au Brésil au XXe siècle. Elle nous apprend qu’au cours des années, on passe de la lutte contre la maigreur à celle contre l’obésité. Si la maigreur est synonyme pour plusieurs de pauvreté, l’obésité deviendra un problème à partir des années 1960.

Comme dans tous collectifs, des textes se démarquent par leur originalité et leur approche théorique, alors que d’autres auraient mérité une réécriture pour en solidifier le propos et les résultats de recherche. On y retrouve des analyses presque exclusivement qualitatives suivant des courants divers et des concepts des dernières décennies et années, que ce soit la médicalisation du social, l’agentivité, l’anarchéologie, le tournant affectif ou encore ce qu’on pourrait appeler une « nouvelle hagiographie ». Au final, les douze textes qui composent ce collectif nous donnent un bel aperçu de la recherche en histoire de la santé des dernières années menée par des chercheurs rattachés à des institutions françaises et québécoises/canadiennes. Ces textes, à deux exceptions près, adoptent une perspective libérale qui fait voir les praticiens et les patients du système scolaire ou de santé comme des agents dans l’amélioration des savoirs et des pratiques, un peu comme s’il fallait encore aujourd’hui rééquilibrer les perspectives privilégiées dans les années 1960 et 1970 sur les pratiques de santé comme l’un des moteurs du contrôle social.