Comptes rendus

Preston, David. L., Braddock’s Defeat : The Battle of the Monongahela and the Road to Revolution, New York, Oxford University Press, 2015, 432 pages[Record]

  • Martin Poëti

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  • Martin Poëti
    Chercheur indépendant

Connue dans le monde anglo-saxon comme la bataille de la Monongahela, du nom de la rivière qui jouxte le lieu où se déroula le terrible affrontement, ou comme la défaite de Braddock, évocatrice du général britannique qui y laissa sa vie, le captivant récit qu’en fait David Preston nous conduit dans la vallée de la Belle-Rivière (aujourd’hui, la rivière de l’Ohio) où s’enclencha, dès 1754 en Amérique du Nord, la guerre de Sept Ans (1756-1763), plus connue au Québec comme la guerre de la Conquête. Le choc des deux armées advint à proximité du fort Duquesne où s’élève aujourd’hui la ville de Pittsburgh. L’ambition des Britanniques était de s’emparer de Duquesne, centre névralgique pour le contrôle de la vallée de l’Ohio, avant de poursuivre leur marche vers le fort Niagara, leur véritable objectif. La chute de Duquesne n’était donc que le premier jalon d’une stratégie beaucoup plus vaste visant à rompre les lignes de communication de la Nouvelle-France en isolant la vallée du Saint-Laurent du Pays d’en Haut (le bassin des Grands Lacs) et de la Louisiane. La vallée de la Belle-Rivière revêtait un enjeu stratégique considérable. Pour les Français, elle assurait la continuité territoriale de la Nouvelle-France ; pour les Anglais, elle représentait l’étape obligée de l’expansion des colonies côtières américaines dans leur avancée vers l’ouest, au-delà des Appalaches. Car les Britanniques ne se sont pas contentés de franchir cette immense chaîne de montagnes avec le poids accablant de l’artillerie : au fil de leur progression, ils ont patiemment édifié, avec pics et pelles, sueur et labeur éreintant, un passage, une route, une première voie d’accès, ouverte et dégagée, à l’Ouest américain. Nulle surprise, lectorat et formation obligent, l’oeuvre de David Preston reflète d’abord et avant tout un point de vue anglo-saxon. Cependant, et c’est là l’un des grands mérites de ce livre, l’auteur reconnaît d’emblée que « no study has yet fully explored French and Indian perspectives on the 1755 campaign. The French and the Indians remain nearly as invisible in modern studies [...] » (p. 4). Son objectif consiste à offrir aux lecteurs une réinterprétation plus équilibrée, sensible à la perspective française : « Another major contribution of the book is its close attention to the people of new France » (p. XVI). Refusant la réduction des Français au statut de figurants ou d’adversaires, l’historien américain prête une attention soutenue au corps des officiers des troupes coloniales françaises, à ses origines sociales, à son ethos militaire et à ses rôles au sein de la colonie. Sous sa plume, les officiers militaires québécois redeviennent des êtres humains à part entière, des époux et des pères quittant leur famille pour des mutations de plusieurs années dans des forts isolés aux quatre coins de l’Amérique du Nord, fins connaisseurs des moeurs, de la culture et souvent des langues amérindiennes, relevant de colossaux défis logistiques face aux spectaculaires distances continentales. David Preston ne cache pas son admiration pour la compétence, la bravoure, la débrouillardise et le savoir-faire de ces officiers. La Malengueulée se distingue des autres théâtres d’opération majeurs de la guerre de la Conquête, telles les prises de Chouaguen/Oswego (1756) et de William-Henry (1757) ou la victoire de Carillon (1758), par la nature des protagonistes. Contrairement à ces engagements célèbres, cette victoire ne fut pas celle des troupes de Terre venues de France, mais celle des compagnies franches de la Marine (les troupes régulières de la colonie), de la milice et des Amérindiens. La contribution décisive de ces derniers, constituant les deux tiers des forces françaises, ne peut être sous-estimée. La Malengueulée est tout autant une victoire …