Comptes rendus

Smart, Patricia, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcand. Se dire, se faire dans l’écriture intime, Montréal, Boréal, 2014, 432 pages[Record]

  • Liette Bergeron

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  • Liette Bergeron
    Cégep de Sherbrooke

La participation active des femmes à la marche de l’histoire du Québec, même si elle n’est pas encore intégrée de facto dans le corpus scolaire, ni dans l’imaginaire de monsieur-madame-tout-le-monde, a été l’objet d’études sérieuses – pensons notamment au collectif CLIO, aux biographies de Thérèse Casgrain et de Marie-Gérin Lajoie. Cependant, la réflexion intime des femmes sur leur vie et leur société, retrouvée dans la correspondance ou un journal, est encore trop peu connue. L’ouvrage de Patricia Smart vient combler ce vide d’une façon admirable. Soulignons d’entrée de jeu le travail colossal de l’auteure qui retrace par un parcours minutieux le discours intime féminin de la fondation de la Nouvelle-France à aujourd’hui. Les sources premières et les études sur lesquelles l’auteure appuie sa recherche sont diversifiées et pertinentes. Le point de départ du travail de Smart était l’étude de l’autobiographie féminine des origines à aujourd’hui, mais la quasi-absence de ce type de publication l’a obligée à se tourner vers d’autres types d’écrits intimes afin de mettre la main « sur quelques morceaux de casse-tête que représentait […] l’absence de voix féminines » (p. 12). Nous sommes donc conviés à une plongée dans ce continent méconnu qu’est l’écriture intime des femmes. La construction de l’ouvrage est intéressante. Ainsi, chaque partie commence par un portrait global des particularités des écrits féminins de la période traitée. Par la suite, l’analyse de correspondances, de journaux, d’autobiographies ou d’autofictions permet au lecteur de bien saisir la vie de ces femmes et ses enjeux. Il est impossible de mentionner chacune des femmes dont il est question dans cet essai de plus de 400 pages et qui apporte sa pierre à la construction de la parole féminine. Comme l’écrit Smart, la tradition de l’autobiographie des femmes au Québec s’élève paradoxalement sur « l’anéantissement du moi » (p. 51) qu’on retrouve dans la correspondance et les textes de Marie de l’Incarnation (1599-1672). On y lit tous ses tourments, comme l’abandon de son fils, la tension entre le corps et l’esprit, entre l’action et la passivité, entre sa forte personnalité et son attrait pour Dieu. Cette religieuse a écrit à une période où on ne le permettait pas vraiment aux femmes. Elle y a consenti parce que des hommes le lui ont demandé. À travers ses écrits, revient constamment son propre sentiment d’inadéquation, d’indignité. Dans son journal, Joséphine Marchand (1861-1925), qui a fondé la première revue féminine au Québec, Au coin du feu (1893-1896), réfléchit longuement au mariage, à ses implications sur sa vie avant qu’elle n’épouse le futur sénateur Raoul Dandurand. La conciliation entre le mariage et l’autonomie féminine demeurera chez elle une préoccupation constante. Les premières angoisses et questionnement existentiels sur l’identité – « Ah ! Je voudrais bien le définir mon moi » – apparaissent dès les premières pages du journal de Michelle Le Normand (1893-1964), l’une des premières femmes à poursuivre des études supérieures en littérature. À ce moment, elle a seize ans et cette jeune fille montre qu’elle veut se définir, se dire par elle-même, une nouveauté chez les femmes. Le Normand a continué à tenir son journal jusqu’à sa mort et a très bien illustré les tensions entre son désir d’être écrivaine, tout en étant mère et épouse, de surcroît d’un écrivain un peu mélancolique, pour qui elle tape les manuscrits et gère les relations avec les éditeurs. L’excellent chapitre consacré aux magnifiques récits autobiographiques Dans un gant de fer, t. 1 La joue gauche (1965) et t. 2 La joue droite (1966) de Claire Martin (1914-2014) donne une idée non seulement de l’expérience personnelle de cette romancière, de sa force littéraire, …