Introduction. Le passé des autres : lectures, emprunts et appropriations en contexte québécois[Record]

  • Daniel Poitras and
  • Maxime Raymond-Dufour

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  • Daniel Poitras
    Université de Toronto

  • Maxime Raymond-Dufour
    Université du Québec à Trois-Rivières

S’intéresser au passé des autres implique davantage que la recherche de dépaysement dans un folklore plus ou moins exotique. La façon d’envisager ce passé et les représentations, emprunts et appropriations qui en découlent sont au coeur de ce numéro de la Revue d’histoire de l’Amérique française. Dans les articles qui suivent, ces « autres » sont les révolutionnaires belges, la droite catholique mexicaine, l’institution de la psychiatrie en France et aux États-Unis, les promoteurs de l’anglais comme langue universelle, les Franco-Américains et le maoïsme en Chine. Les auteurs de ce numéro thématique nous montrent comment les acteurs québécois reprennent à leur compte l’histoire d’ailleurs pour donner du sens au passé et au présent d’« ici ». Plus largement, ces six contributions nous invitent à réfléchir sur la place faite au passé des autres à la fois dans l’historiographie et au Québec en général. Le particularisme attribué au Canada français et, par la suite, au Québec, a joué un rôle clé dans le déploiement, d’une décennie à l’autre, des lectures du passé des autres. François-Xavier Garneau, par exemple, souhaitait Cette citation est devenue célèbre parce que certains historiens y ont vu le coup d’envoi du paradigme de la survivance. Dans le Canada de l’Union, à la suite de l’échec des Rébellions, les Canadiens, francophones et catholiques, ne devaient-ils pas aménager l’avenir en s’appuyant sur le passé et en évitant de se lancer dans les grandes expériences de la modernité ? Or, la portée de cette citation ne se limite pas à sa seule conclusion : entre autres choses, elle livre une certaine compréhension de l’expérience historique qui, par la comparaison, amène à apprécier sa propre différence. En effet, si, selon Garneau, les Canadiens ne doivent pas se lancer dans de grandes expérimentations sociales et politiques, c’est parce que leur condition est différente de celle des « grands peuples ». Cette compréhension de l’histoire de Garneau est traversée d’une comparaison implicite entre peuples. L’histoire des autres est ici instrumentale dans l’élaboration de l’histoire de soi. L’expérience de l’altérité conditionne le jugement historique, tout comme l’élaboration d’une vision de l’avenir. Rares sont les histoires qui se vivent et s’écrivent en autarcie, si même une telle chose existe. Pour Garneau, le soi est d’abord et avant tout national : il écrit l’histoire des Canadiens, ces habitants francophones de la vallée du Saint-Laurent, dont il cherche à orienter l’avenir collectif. Cela dit, les dimensions du soi sont mouvantes et variables, elles changent selon les personnes et selon les époques, elles se reconfigurent d’après les besoins culturels comme les désirs militants. Peu importe leurs délimitations, elles nous confrontent nécessairement a contrario à ce qu’il y a au-delà de leurs limites comme à ce qui les a conditionnées. À chaque délimitation ou assignation du « soi », de nouvelles limites se sont posées (explicitement ou non) et ont conditionné l’éloignement ou la proximité de ce qui relève de l’altérité. À cet égard, la lecture du passé des autres nous invite à une relecture critique de ce qui est considéré comme « propre » à une histoire. Le cas des révolutions de la fin du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle constitue un exemple éclairant : leur réagencement sous l’expression de « révolutions atlantiques » a en effet incité les chercheurs à décortiquer certains mythes, téléologies ou thèmes associés à l’État-Nation et réputés incomparables. Cet étirement des frontières en vue de découpages neufs a favorisé l’étude de réseaux d’influences et de passeurs culturels au coeur de la diffusion de modèles et d’expériences dont le métissage tendait à flouter l’identification du « soi …

Appendices