Comptes rendus

Cinq-Mars, Marcelle, Gibiers de potence. Des meurtres dans le Québec du XIXe siècle (Outremont, Athéna éditions, 2016), 157 p.[Record]

  • Alex Gagnon

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  • Alex Gagnon
    Chercheur postdoctoral, Université du Québec à Montréal/Paris 1

L’ouvrage de Marcelle Cinq-Mars reprend une démarche bien connue et déjà fortement exploitée par de nombreux prédécesseurs : plongeant dans les archives judiciaires et dans les journaux anciens afin d’en extirper quelques histoires sanglantes et scabreuses du passé, l’auteure propose une reconstitution essentiellement factuelle de dix meurtres québécois du XIXe siècle, ayant eu lieu entre 1855 et 1889. Cette volonté de reconstruction des faits est guidée, comme l’indique l’introduction, par le souci de jeter un « regard curieux » sur un « univers judiciaire lointain et heureusement révolu » (p. 7-8). Tirant de l’oubli des crimes ayant échappé, semble-t-il, à la mémoire collective, le livre est composé de onze sections distinctes, dont on peut regretter qu’elles ne soient reliées par aucune véritable passerelle argumentative. Le volume se présente ainsi comme la juxtaposition, comme l’addition de récits autonomes et clos sur eux-mêmes, dans lesquels, en reprenant la même structure narrative, l’auteure retrace chaque fois les éléments et événements d’une affaire criminelle, du meurtre à l’exécution de la sentence en passant par la découverte des cadavres et la procédure judiciaire. Photographies ou dessins d’époque, coupures de journaux, cartes géographiques et encadrés informatifs sur les moeurs pénales et juridiques : bien qu’un peu redondantes et répétitives, les reconstitutions factuelles ont l’avantage d’inclure de nombreuses reproductions de documents historiques, qui agrémentent assurément la lecture sans toujours cependant enrichir la compréhension des enjeux parfois complexes (sociaux, juridiques, etc.) soulevés par certaines affaires, que Marcelle Cinq-Mars se contente de reconstituer sommairement sans entrer dans l’analyse. Ce faisant, l’auteure s’arrête précisément là où, au-delà de la stricte factualité des crimes et des procès, les choses auraient pu devenir, du point de vue de l’historien et du sociologue, stimulantes et révélatrices. Mais avant de souligner les lacunes de l’ouvrage, il convient de rendre justice au travail de l’archiviste en se situant d’abord, pour le commenter, sur le terrain qu’elle a elle-même choisi. Laborieuses, les reconstructions factuelles exigent souvent des recherches patientes et minutieuses : on conçoit aisément, en effet, la somme de travail documentaire qu’une telle entreprise peut représenter. Bien documentées, les reconstitutions proposées par Marcelle Cinq-Mars parviennent à faire revivre de manière presque palpable certaines scènes d’époque, ce qui ne manque évidemment pas de susciter l’intérêt du lecteur. Elles sont de plus écrites dans un style limpide, dont le grand public (manifestement ciblé par l’ouvrage, comme en témoigne notamment le fait que les sources soient irrégulièrement et incomplètement données) saura apprécier la clarté et la teneur narrative. Ce que l’auteure entend faire, elle le fait bien et adéquatement. Les faiblesses de l’ouvrage tiennent cependant à la nature de ce projet lui-même, auquel on peut adresser, de manière générale, deux critiques. La première tient à la cohérence globale du livre, insuffisante voire inconsistante. On comprend mal, par exemple, le rôle de la troisième section, dont on ne sait exactement à quoi attribuer la présence : celle-ci, en effet, rassemble quelques considérations historiques, partielles, éparses et décousues, sur la fonction d’exécuteur des hautes oeuvres et sur la professionnalisation de celle-ci, considérations qui ne se justifient que difficilement, sur le plan de la cohérence interne de l’ouvrage, dans la mesure où elles ne viennent pas éclairer la reconstitution des meurtres et des procès. Le lecteur universitaire, du reste, se pose inévitablement un certain nombre de questions embarrassantes. Quels sont les critères ayant présidé au choix des meurtres à reconstituer ? Pourquoi ceux-ci plutôt que d’autres ? Présentent-ils, historiquement, un intérêt particulier ? Offrent-ils une fenêtre sur des phénomènes sociaux dont ils seraient ainsi des révélateurs ? À ces interrogations, il faut apparemment et malheureusement renoncer à trouver une réponse. …